« Habiter » VS « être chez soi »
« Viens chez moi, j’habite chez une copine ! » vous souvenez vous de ce film (1981) …?
Habitez-vous « chez vous » ou « chez une copine » ? A cette question qui paraît simple, il semble que la réponse soit loin de l’être… Si vous ne connaissez pas le film, vous vous souvenez certainement que vous habitiez chez vos parents pendant quelque temps… et que vous aviez peut-être délimité là « votre chambre » comme étant votre « chez moi », à tel point que peut-être même en aviez-vous interdit l’entrée… Ainsi là où l’on « habite » ne désigne pas automatiquement son vrai « chez soi » : nous pouvons n’être qu’un « occupant »…
Une émission de France Culture abordait récemment le sujet, tandis qu’un article dans Psychologies Magazine le traitait aussi. Avec le confinement la question est d’actualité, et le sujet passionnant comme vous allez le voir.
Je précise d’emblée que je vais supposer qu’il y a une bonne entente entre les personnes vivant au foyer, la notion « d’être chez soi » étant abordée ici sous l’angle de l’aménagement de son intérieur, que la famille comporte une ou plusieurs personnes, depuis peu ou depuis longtemps. Ce parti pris se justifie par la trop grande diversité des situations familiales et non par leur déni, et aussi par le fait que l’aménagement de son « chez soi » influe sur la qualité des relations familiales et inversement.
En effet, dès que l’idée de confinement est apparue, ne plus pouvoir quitter son domicile, et donc devoir « rester chez soi » a été ressenti comme une contrainte, une obligation lourde, qui sera difficile à supporter, plus que le fait du « vivre ensemble ». N’est-ce pas étonnant dans la mesure où, en principe, nous aimons être « chez nous », et qu’y rester longtemps confiné aurait pu être un rêve lointain qui se réaliserait enfin ? Et bien il semblerait que non, le « chez soi » ne serait pas suffisamment protecteur d’une angoisse d’enfermement.
C’est que si nous avons à priori fait en sorte de nous sentir « bien chez nous » nous sommes inquiets d’avoir à éprouver la solidité de ce sentiment à l’occasion d’un séjour ininterrompu de plusieurs semaines. Ne va-t-il pas se transformer en une forme de rejet en abordant la quatrième, cinquième ou sixième semaine sans en franchir la porte ?
La question prend sans doute tout son sens au moment où nous prenons conscience que « chez nous » devient tout à coup « le monde entier », la frontière avec la rue d’en bas ! Désormais nous allons vivre dans ces quelques mètres carrés avec ce nouveau regard, et leur configuration peut soit nous aider à bien vivre ce moment particulier et inédit, soit nous le rendre plus difficile. Ne rêvons-nous pas déjà au bout de trois semaines du moment où nous pourrions le quitter librement et partir « n’importe où » sans aucune auto-autorisation écrite de notre main ? Est-il possible que notre liberté soit remise en question au sein même du lieu de vie que nous nous sommes choisis ? Un vrai paradoxe !
Pourquoi le sujet est-il important ? Pas seulement en raison de cette phase de confinement, mais aussi, nous le ressentons bien, parce que dans toutes les difficultés que la vie peut nous opposer, notre « chez nous » est une sorte de « base », de « refuge », l’équivalent de notre « doudou » d’enfant, car comme lui, si notre « chez nous » est loin ou perdu, quel apaisement en le retrouvant !
Se sentir « chez soi » est bien sûr un sentiment propre à chacun d’entre nous, mais comment parvient-on à l’atteindre, faut-il faire quelque chose ou non, et si oui que faut-il faire, comment le penser et l’organiser? Le plus souvent il est un mélange de circonstances additionnées de hasards. Certaines personnes savent mieux imaginer l’intérieur de leurs amis que le leur. D’autres ont la chance d’avoir une idée très précise de ce qu’il doit être.
Essayer de répondre à quelques questions peut aider à la réflexion :
1 Déménagement : si vous déménagez, les meubles, lits et canapés, cadres, tableaux et photos, lave-vaisselle, etc… suffisent-ils à vous reconnaître immédiatement « chez vous » dans votre nouveau logement ?
2 Propriété vs Location : pour vous la notion d’être « chez vous » est-elle compatible avec la location, autrement dit la notion de propriété amplifie-t-elle le sentiment d’être chez vous, ou lui est-elle indifférente ?
3 Vous êtes une famille : Si vous êtes une famille, la création de votre « chez-vous » est-elle née sous une impulsion égale du couple, ou principalement sous l’impulsion de l’un ou de l’autre ? De quelle façon vous sentez-vous « chez vous », ou chez votre conjoint, ou dans une représentation unie du couple ainsi formé ?
4 Une nouvelle vie s’annonce : vous viviez seul(e) depuis plusieurs années et vous aviez organisé votre « chez vous » à votre goût. Vous rencontrez l’âme sœur, et vous projetez de vivre sous le même toit. Que va-t-il se passer : l’un des « chez moi » deviendra-t-il le « chez nous » ? Est-ce vraiment possible ? Comment ? Allez-vous co-habiter ? Créer un compromis ? Ou quitter tous les deux votre logement pour un à créer de toutes pièces ? Sur quelles bases et comment ?
Quelle que soit l’une ou l’autre de ces situations, examinons deux façons de procéder pour créer votre intérieur. Naturellement des méthodes intermédiaires existent, en fonction de votre sensibilité, de vos désirs et de vos émotions, vous pourrez sûrement les imaginer à partir de ces idées.
Premier exemple : par mesure de simplicité vous imaginez un chez vous entièrement « IKEA » ! Outre les prix imbattables, l’inventeur du concept a pensé à tout. Des chambres et des salons tout prêts, et des cuisines sur mesure vous sont proposés. De la petite cuillère à la balayette des toilettes, en passant par les éclairages, la vaisselle, les tableaux, la bibliothèque, les lits et canapés, le bureau, le salon et les tapis, la salle de bains et les serviettes, les draps, les rideaux, les tableaux, les petits bibelots, les oreillers et la housse de couette, …. Votre chez vous est donc entièrement signé « IKEA ».
A part le fait que de temps en temps vous retrouverez l’un ou l’autre des éléments de votre intérieur chez des amis, pensez-vous que vous pourriez vous sentir « chez vous » dans un environnement « Ikeatisé » ? Ce n’est ni impensable ni de mauvais goût, et cela peut correspondre à un moment donné de votre vie.
Mais supposons que la réponse soit « non », et que faute de savoir comment procéder, vous décidiez de faire appel à un architecte d’intérieur. Solution «versus» de la précédente… ! J’ai rencontré pour vous une personne dont c’est le métier, que je remercie ici pour sa contribution à cet article.
« Pour que vous vous sentiez « chez vous », votre intérieur devrait être la projection de votre propre intériorité », me dit-elle d’emblée.
Ah DIS-JE, cela suppose que l’on connaisse cette intériorité, ce qui n’est pas toujours le cas, et qui peut prendre du temps !
Oui, c’est vrai, la construction d’un intérieur peut prendre du temps : ne dit-on pas « petit à petit l’oiseau fait son nid » ? Mais vous ne vous sentirez vraiment chez vous que si vous êtes en mesure de vous approprier votre intérieur, de le reconnaître comme correspondant précisément à votre vécu, à vos émotions, à votre sensibilité, bref à l’être que vous êtes au moment où vous le réalisez. Ainsi lorsque vous recevrez des amis, plus votre intérieur correspondra à l’image que vous projetez chez eux, plus ils se sentiront chez vous, et vous aussi naturellement. Dès lors, que vous soyez seul(e) ou en famille votre intérieur est bien le miroir de votre « âme ». D’ailleurs c’est une expérience que vous faites parfois lorsque vous entrez chez des amis et que vous vous intéressez à ce qui compose leur intérieur.
Mais comment faites-vous pour imaginer l’intérieur d’une personne qui vous consulte ?
Il faut partir de l’existant, qui est pour nous une « origine certaine », un premier ancrage, et poser des questions pour répondre à l’attente. Nous allons chercher à comprendre sa personnalité, sa culture, son histoire y compris son enfance, son identité, le sens qu’elle donne à sa vie, ce qui est essentiel et ce qui l’est moins, les couleurs, la lumière, l’attachement ou non aux objets, au passé, les goûts musicaux, l’importance de la lecture, les goûts artistiques, et même culinaires… Il nous faudra également comprendre ses mouvements, comment elle bouge, et l’espace qui lui et nécessaire. Par exemple sa façon d’employer le temps : le temps dedans et le temps dehors, le temps libre, le temps du travail, le temps social, familial, l’importance des amitiés… Dans cet esprit, la façon de s’habiller nous inspire aussi, car il est impensable qu’il n’y ait pas d’harmonie à tous les niveaux de ce qu’elle est.
Quel est l’élément essentiel qui fera que l’on aime rentrer chez soi ?
A la fois tous les éléments que je viens de vous citer, qui sont des éléments très importants de confort et de plaisir. J’y ajouterai que le chez soi doit être un espace où l’on se sent en sécurité, car nous sommes ici dans un lieu d’intimité. C’est un espace dans lequel tout le monde ne peut pas entrer, et d’ailleurs vous le considérez avec raison comme inviolable. C’est pour cette raison que l’intrusion de voleurs chez soi est toujours très traumatisante, même s’ils n’ont rien volé ! Cette intrusion est ressentie comme un viol au sens propre. L’existence de cette sécurité vous apporte une sérénité. En rentrant chez vous vous retrouvez le repos du corps et la tranquillité de l’esprit. Si vous rentrez de voyage ou de votre travail, vous pensez «Ouf ! je suis arrivé(e), je suis chez moi ! », et vous êtes déjà détendu(e) et apaisé, simplement en insérant la clé dans la serrure… !
C’est la même chose pour le « chez nous » d’un couple ou d’une famille ?
Oui, mais en tant que conseil je vais m’assurer que le compromis entre les aspirations de l’un et l’autre est profondément ancré chez l’une et l’autre des personnes. Il me faut prêter attention aux « concessions » qui pourraient finir par être insupportables avec le temps, et mon intervention aidera à cela.
Mais comment fait-on si on n’a pas la possibilité de faire appel à un architecte d’intérieur ?
Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des personnes créent leur intérieur elles-mêmes. Il s’organise de façon plus ou moins voulue, et il peut parfaitement convenir sans réflexion préalable consciente et précise. Par exemple j’ai rencontré une personne très sensible à la nature qui adapte la décoration de son appartement aux saisons. Presque tout change : les rideaux, les objets, les couleurs des nappes, les draps et couettes, les tableaux aux murs, et les fleurs disposées sont en harmonie avec le temps, un peu comme nous changeons notre façon de nous habiller, pour les mêmes raisons. Son intériorité et son intérieur vivent au rythme des saisons, j’ai senti que c’est pour elle de l’amour et un bonheur absolu ! J’imagine qu’avec les éléments que nous venons d’évoquer chacun peut, s’il le veut, effectuer un travail de recherche seul avec son partenaire ou une personne qui connaît bien sa personnalité et son vécu.
Pouvez-vous préciser ?
Le principe simple est qu’il faut trouver ses bases, comme par exemple comprendre la raison d’être ou l’origine de la présence des objets et meubles existants, car ils sont de précieux indices. Puis avec le temps, sans doute même beaucoup de temps car ça ne se fait pas en un jour, réfléchir à ce qui manque et pourrait être ajouté ou modifié pour que votre intérieur projette peu à peu toute votre intériorité. L’intérêt du professionnel c’est qu’en vous écoutant il pourra vous faire découvrir des idées et des harmonies auxquelles vous n’auriez pas pensé. Elles vous emmèneront plus loin dans la projection de votre personnalité, et vous apporteront une richesse et une joie quotidienne supplémentaires. Il n’y a pas de nécessité d’organiser son intérieur, ou de façon universelle de faire, mais ne rien faire c’est faire quand même ! C’est un sujet intime et proche de la réflexion de chacun sur le sens et l’importance qu’il accorde à son chez soi, et donc plus généralement au sens de la vie compte tenu du temps que nous y passons en particulier en ce moment !
Alors ?
Alors êtes-vous un simple « habitant », un « occupant » de votre espace, ou êtes-vous « chez vous », dans cet endroit unique qui ne ressemble qu’à vous ou a votre famille ? Un doux mélange des deux probablement… Si se sentir chez soi est le résultat d’une atmosphère qui projette votre intériorité, il apparaît en tout cas que peu importe la dimension de votre logement, le nombre de personnes qui y vivent, que vous en soyez propriétaire ou locataire, que vous veniez ou non d’y emménager, que vous ayez ou non beaucoup de moyens. S’il est le reflet de votre personnalité et de celle de vos proches sous le même toit, et qu’il évolue avec elles, vous serez toujours vraiment « chez vous »….. et il faut l’espérer, vivre un peu mieux pendant cette période si troublante…
« Post Scriptum 1 » des nouvelles du « chez soi » : un article du New-York Times raconte le terrible ennui des grandes stars américaines, qui, dans leur immense maison avec piscines et jaccuzis, jardins, terrains de tennis, home cinéma, etc …ne donnent plus de fêtes, et pour certaines se font « guillotiner » virtuellement pour leur mode de vie sur un haschtag consacré : #guillotine2020… Monsieur Guillotin n’aurait sans doute pas imaginé que son invention pourrait un jour être décorée d’un haschtag…!
« Post Scriptum 2 » Une étude franco-suisse démontre ici l’importance que pourrait prendre le « chez-nous » dans l’avenir, pour faire face aux futures pandémies (16 avril 2020)
Prochains articles prévus : vérité, hypocrisie sociale et pieux mensonges ; liberté d’expression et libération de la parole ; obéissance irresponsable et désobéissance civile ; tyrannie de l’amour et tyrannie sexuelle ; « Vivre vivant » vs « Vivre mort » ; Cohérence et incohérence de nos opinions et comportements…
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