L’a-perception d’Emmanuel Macron

Nous connaissons tous la difficulté qu’il y a bien souvent à percevoir la réalité de la réalité, qu’il s’agisse de l’observation scientifique de phénomènes, de la compréhension d’un comportement, ou de l’analyse d’évènements.

Qu’est-ce que la perception ? C’est l’activité mentale que nous déployons lorsque nous observons quelque chose : autant dire tout le temps ! Ainsi l’utilisation de l’un ou l’autre (ou plusieurs) de nos cinq sens, associée à notre mental, à nos expériences, à nos croyances… est tellement automatique que nous n’en sommes généralement pas conscients.

Intuitivement, vous pouvez certainement comprendre que cette activité mentale étant dotée d’une part d’une grande imagination, d’autre part d’affections positives ou négatives de toutes sortes, elle peut introduire un biais dans notre observation, la rendant erronée.

Si dans bien des cas ce biais n’a pas ou peu d’impact sur notre analyse, dans d’autres il peut provoquer des incompréhensions ou des malentendus.

J’ai puisé quelques exemples dans « Le théorème du parapluie, ou l’art d’observer le monde dans le bon sens », un livre entièrement consacré à nos erreurs de perception, et par voie de conséquence de jugement, dans le domaine des sciences. De quoi nous faire réfléchir sur certaines de nos certitudes… Jugez-en…

Connaissez-vous le Chimborazo ? C’est un volcan planté au cœur de la Sierra équatorienne. Il n’est plus en activité depuis près de quinze siècles. À 6263 m, il surplombe les plateaux andins, et les alpinistes du monde entier viennent relever le défi d’atteindre son sommet de neiges éternelles.

C’est que les guides touristiques affirment qu’il s’agit du plus haut sommet du monde… !

Plus haut que l’Everest et ses 8848 mètres ?

Oui, plus haut, car l’Everest bénéficie d’une erreur de… perception ! La terre n’étant pas ronde mais légèrement aplatie au niveau des pôles et gonflée au niveau de l’équateur, le niveau de la mer qui sert de mesure à l’Everest y est moins élevé qu’à l’Équateur. Une mesure à partir du centre de la terre pour les deux géants serait donc scientifiquement plus exacte (ou équitable ?) Résultat : 6382,6 m à l’Everest contre 6384,4 m au Chimborazo.

D’accord, il ne s’agit que de 1,80 m … Pour vous qui lisez ces lignes cela n’aucune importance, mais pour les alpinistes qui désirent défier les géants, les derniers mètres du Chimborazo seront évidemment leur plus grande fierté : le toit du monde !

Voilà une certitude mathématique bien perturbée par le changement de la base de repères, qui nous invite à se poser quelques questions de méthode, si nous voulons être précis…

Sur la plage, cet été, vous pensiez percevoir correctement le mouvement de l’eau devant la marée ? Détrompez-vous !

Car lorsque nous voyons la mer « monter », en réalité, sur un plan physique, elle descend, tandis qu’elle monte lorsqu’elle se retire… ! C’est la rotondité de la terre qui, là encore, nous donne cette illusion, due à sa courbure qui ne nous est pas perceptible : à nos pieds, la terre est « plate » !

Pour vous en convaincre prenez une orange et laissez tomber quelques gouttes d’eau sur sa surface, vous les verrez « descendre » vers la gauche ou la droite…. Ainsi une mesure extrêmement précise du déplacement de l’eau à la surface terrestre montrera qu’à marée montante elle descend comme l’eau à la surface de votre orange.

Voici maintenant une autre étonnante erreur de perception, celle de notre apparente immobilité. Je suppose que vous ne lisez pas cet article en conduisant. Mais vous êtes peut-être dans un train, ou assis(e) chez vous. Bref il vous semble être immobile. Il n’en est rien.

Vous êtes le minuscule constituant d’un vaste espace à l’intérieur duquel vous ne cessez de bouger. La Terre tourne sur elle-même en 24 heures et vous tournez avec elle ! Si vous êtes aux latitudes de la France, vous parcourez 30 000 kms toutes les 24 heures à 1250 kms/h…. La Terre sur laquelle vos pieds sont posés, parcoure chaque année 940 millions de kms à 30 kms/seconde…  Quant à la voie lactée dans laquelle vous vous situez elle se déplace elle-même à plus de 2 000 000 de kms/h…. Vous avez le tournis ? Non, car vous êtes « relativement » immobile…

Bref, tout bouge tout le temps, et l’immobilité absolue n’existe pas : il n’existe que des immobilités relatives, c‘est à dire des immobilités perçues comme telles en raison de leur mesure apparente par rapport à d’autres éléments mobiles. A quoi ça sert ? Et bien entre autres, à ce qu’un satellite placé sur orbite demande à votre GPS de vous informer que tous comptes faits, vous devez tourner à gauche dans 25 mètres pour atteindre votre destination…

Vous l’avez sûrement compris, percevoir suppose le désir d’aller au-delà des apparences. Est-ce compliqué ? Oui et non : je vous ai rapidement expliqué quelques phénomènes scientifiques imperceptibles que vous avez compris et perçus en quelques secondes. Mais toutes ces observations ont nécessité d’énormes travaux, de la persévérance, des remises en causes phénoménales de certitudes, des conflits et des procès, l’invention de nouveaux instruments, et la réalisation de calculs compliqués le plus souvent sans ordinateur à leur époque.

Pour un homme politique avoir une juste perception des situations est évidemment primordial pour prendre des décisions. Qu’en est-il de la perception d’Emmanuel Macron lorsqu’il affirme que nous entrons dans « la fin de l’abondance » ?

Nous sommes bien obligés d’en déduire que lors de son premier mandat il a perçu les Français comme vivant dans l’abondance.

Nous ne pouvons donc que conclure, par exemple, à l’échec définitif des Gilets Jaunes dans leur volonté d’exprimer leur dramatique précarité, au moment où le litre d’essence ne coûtait que quelques centimes de plus. Nous le savions déjà, mais nous ne pouvions imaginer combien la perception d’Emmanuel Macron quant à la nature de ce mouvement au regard de sa définition de l’abondance pouvait être aussi erronée. C’est chose faite.

Nous avons également entendu sa fierté d’avoir mis en place, alors qu’il était ministre des Finances de François Hollande, le développement des emplois Uberisés. Visiblement (si l’on peut dire), il ne perçoit pas la précarité, proche de l’esclavage moderne, qui caractérise ces emplois, et se dit même prêt à en développer encore le concept si besoin.

Mais que penser alors de sa perception de ce qu’est un « travail », ou de sa notion même d’emploi alors qu’il dit avoir un objectif de « plein emploi » ?

Enfin, bien que n’ayant été élu que par moins de quatre électeurs inscrits sur dix, avec un taux d’abstention record, et bien que n’ayant pas de majorité parlementaire, il ne semble pas percevoir que son programme de réformes est désormais minoritaire dans l’opinion publique….

Cette façon délibérée de mépriser la réalité, que j’appelle une a-perception, est un phénomène bien connu : presque tout ce qui bouscule l’ordre établi, tout ce qui dérange les convictions, contrarie l’expérience, peut générer une forme de déni du réel, allant parfois jusqu’à l’absurde…

C’est ainsi qu’il subsiste par exemple une croyance encore bien ancrée que la terre serait plate ! Emmanuel Macron y souscrirait-il ? L’Everest serait-il le plus haut sommet du monde « quoiqu’il en coûte ? »

Probablement pas. Néanmoins, affirmer que les Français vont perdre leur train de vie d’abondance serait risible s’il n’y avait pas derrière cette conviction du Président de la République beaucoup trop de personnes (pourtant bien connues de lui) que cette perception de leurs conditions de vie ne fait pas rire du tout.

Avant de conclure il existe tout de même une hypothèse qu’il me parait difficile de ne pas envisager, peut-être y avez-vous pensé : Emmanuel Macron perçoit bien toutes les contrariétés et oppositions qui se dressent devant lui, mais il n’en n’a cure. Son éthique personnelle lui commande d’accomplir la mission dont il est persuadé que la Providence l’a chargé. D’ailleurs, après que l’opinion publique l’eût surnommé Jupiter, il a récemment dit préférer le surnom de Vulcain…

Vulcain ? Fils de Jupiter, il est le feu qui, pour le bien ou pour le mal, dévore et détruit. Ce qui le rend utile et dangereux à la fois….(Wikipédia).

Merci pour votre fidélité, et bonne rentrée !

Alexandre Adjiman

le 31 août 2022

NB : au pays du Chimborazo on utilise l’expression « c’est un Chimborazo ! » pour dire d’un sujet ou d’un travail qu’il est difficile, ou énorme, faisant ainsi référence à l’imposante masse de ce volcan et à la difficulté de le vaincre…. Vous trouverez bien l’occasion de l’utiliser dans un dîner en ville !

Dans mes lectures :

« De la vérité dans les sciences » Aurélien Barrau, Éditions Dunod, 2019

« Le théorème du parapluie », Mickaël Launay, Editions Flammarion, J’ai lu 2019

« Spinoza, Méthode pour exister » Maxime Rovere, CNRS éditions 2019

« Excel m’a tuer, L’hôpital fracassé » Bernard Granger, Éditions Odile Jacob, 2022

« La réalité de la réalité, confusion, désinformation », Paul Watzlawick, Points Essais Seuil, réédition 2014

« Éloge de l’hypocrisie » Olivier Babeau, Éditions du Cerf, 2019

« Comment faire son propre malheur », Paul Watzlawick Points Essais Seuil, réédition2014

« L’art d’avoir toujours raison », Arthur Schopenhauer, Edition des Mille et une Nuits, 2021 (réédition)

Mensonges et hypocrisies

Que peut penser un enfant de 8 ans à qui l’on a souvent répété qu’il ne faut jamais mentir, qui découvre à 8 ans que le Père Noël n’était qu’un… mensonge ?

Il  n’y aurait en principe que trois façons de répondre à cette question :

  1. Il faut tuer le Père Noël
  2. Il ne faut pas apprendre à l’enfant à ne jamais mentir
  3. Il faut admettre que certains mensonges sont acceptables…

La petite souris qui vient chercher la dent sous l’oreiller recevrait le même traitement…

Au-delà de ces exemples anodins, nous sommes régulièrement confrontés à des mensonges, qu’il s’agisse de mensonges par omission ou d’affirmations mensongères, que ce soit en famille, au travail, en politique, avec des amis… et le premier réflexe est l’incompréhension, le rejet, et un jugement de méfiance vis-à-vis du « menteur ».

Pour ne pas tuer le Père Noël (dont j’ai gardé le meilleur souvenir), j’ai voulu savoir ce qu’il en était réellement de notre quotidien en matière de mensonges, et de quelle manière il fallait ou non culpabiliser (au cas où bien sûr…)

Une célèbre controverse philosophique sur le mensonge a opposé au milieu du 18è siècle deux philosophes,   Benjamin Constant et Emmanuel Kant.

C’est Benjamin Constant, né à Lausanne, amant de Mme de Staël dont il fréquente le cercle d’intellectuels libéraux, qui ouvre le sujet dans un opuscule politique dans lequel il pose la question : « Mentir est-il toujours répréhensible ? »  « Non – répond-il – car si une théorie (ne pas mentir) est  bonne dans l’absolu mais inapplicable dans les faits, elle est sujette à caution ».

Emmanuel Kant, né à Königsberg (Prusse Orientale), lui répond que « dire la vérité est un devoir qui ne saurait souffrir d’exception en fonction de circonstances ou de calculs »

Pour bien voir jusqu’où Kant pousse son raisonnement, il confirmera que si vous hébergez un innocent et que la police vous interroge pour savoir si vous savez où il se trouve, vous avez le devoir de donner l’indication. Il justifie cette réponse, qui en étonnera et en étonne toujours plus d’un, en expliquant que dès lors que l’on accepte des exceptions, la boite de Pandore est ouverte : « le mensonge est un crime » dit-il,  « il ne souffre aucune  dérogation ».

Au 20è siècle Vladimir Jankékévitch déclarera « qu’il n’y a de sincérité profonde qu’aimante et bienveillante », et que mentir est parfois un devoir sacré : « Malheur à ceux qui mettent au-dessus de l’amour la vérité criminelle et la délation. Malheur à ceux qui n’ont jamais menti ! » Autres temps autre argumentation. Jankélévitch a été titulaire de la chaire de philosophie à la Sorbonne. Il est l’auteur d’un « Traité des vertus ».

En remontant plus loin dans les origines de la pensée philosophique nous nous trouvons devant deux conceptions non pas du mensonge, mais de son alter ego, la Vérité. Celles de Platon et d’Aristote, tous deux grecs et contemporains, ayant vécu à Athènes au IVe siècle avant notre ère.

Pour Platon il ne peut y avoir qu’UNE  Vérité. Si  une personne est cachée dans la maison affirmer qu’elle n’y est pas est inexact, d’où une contradiction matériellement inacceptable au regard de la Vérité.  Cette vision, dont nous sommes profondément héritiers, est entre autres à l’origine de concepts tels que le monothéisme : puisqu’il ne peut y avoir deux Vérités il n’y a qu’un seul Dieu. Une Vérité exclut toute autre. Il ne peut y avoir ordre et désordre en même temps.

Aristote (disciple de Platon…) ouvre la voie à la « vérité conjecturelle », c’est à dire au contexte dans lequel  la certitude s’affirme. Dès lors deux convictions contradictoires peuvent être vraies ensemble. La logique et la cohérence ne sont pas le filtre intangible de la vérité, car elles ne sont elles-mêmes que des apparences, construites sur d’autres convictions. Le réel est le lieu permanent des contradictions.

Paul Veyne, historien de l’antiquité, affirme que « la civilisation grecque était par excellence celle de la conciliation des contraires, de l’ambiguïté du monde. La cohérence n’est jamais qu’une façade »

Mais comment fait-on pour concilier les contraires ? Toujours selon Paul Veyne,  « notre esprit ne se met pas au supplice quand, semblant se contredire, il change simplement de programme de vérité ». Autrement dit, pour attribuer la qualité de mensonge à une affirmation il est nécessaire de s’assurer préalablement du « programme de vérité » sur lequel cette affirmation s’appuie. Ainsi lorsque l’on dit que quelque chose est « aussi vrai que deux et deux font quatre », il est utile de se souvenir que c’est en base dix, (le programme de vérité) et seulement dans ce cas.

De fait, bien souvent entre deux convictions qui s’opposent il n’y a pas lieu de déclarer la guerre, parce que l’une serait juste l’autre fausse, l’une qui a raison l’autre qui a tort, l’une qui ment l’autre pas. Leur coexistence peut s’expliquer par un historique ou un contexte différents, où les points de vue loin de s’exclure s’enrichissent, s’additionnent, ne se tuent pas. Bien des conflits se résolvent par cette simple mise en évidence.

Naturellement le « pur mensonge » existe aussi,  celui qui est sciemment destiné à cacher une vérité identifiable comme telle, dans le but de tromper, de faire du mal, d’en tirer un avantage …

Et disant cela je me dois d’ajouter qu’il en est de même de la « vérité pure » : elle existe aussi, même si elle se fait rare, et des hommes comme Bruno Giordano l’ont payée de leur vie : il fut torturé et brûlé vif par l’Inquisition pour avoir contesté la thèse géocentrique et n’avoir pas voulu en démordre. La vérité demande du courage, Galilée ne l’a pas eu mais on le comprend. Sa  mort n’ayant pas modifié la vision qu’il avait du cosmos, Giordano est aujourd’hui honoré d’une statue Piazza Campo di Fiori, à Rome… Espérons qu’il la voit !

La mauvaise réputation du mensonge résulte donc de l’influence considérable de la pensée platonicienne, celle de la vérité unique, avec un  grand V, parfois située aux confins du dogmatisme. Elle a ouvert la voie à une conception binaire du monde, donnant surtout lieu à la vérité tyrannique que vous avez certainement déjà rencontrée en abordant les sujets politiques, religieux ou d’argent avec des amis ou en famille.

Plus contemporaine, la théorie de la complexité développée par Edgard Morin est venue à notre secours pour nous aider à sortir du schéma cartésien de cohérence et de rationalité mathématique. Pour que nous sachions mieux réfléchir et agir, sa « Méthode » convoque de nombreuses disciplines (notamment biologique, sociologique, anthropologique), permettant de saisir tout le réel dans sa globalité, et ses multiples vérités.

Au-delà des débats d’idées, il serait utile de comprendre que le petit mensonge quotidien que nous pouvons  observer est le fruit indispensable de notre liberté. C’est grâce à lui que nous pouvons préserver notre intimité, notre jardin secret, nos petits ou grands problèmes, nos déceptions ou nos espoirs, et d’une manière générale ce que nous ne pouvons ou ne souhaitons pas partager, consciemment ou inconsciemment. Difficile d’y échapper, car c’est sans doute à ce moment que  nous sentons que la curiosité d’autrui devient parfois « un vilain défaut ».

 L’hypocrisie est fille du mensonge.

« Hypocrinomai » signifiait en grec ancien « interpréter ». Le sens a évolué vers l’idée de feindre, de simuler, de jouer un personnage.

L’hypocrisie est un arrangement par lequel le comportement affiché d’un individu en société en cache un autre, non-dit, parfois seulement soupçonné, parfois « évident » voire choquant.  Il s’agira par exemple de la petite conviction écologique du propriétaire d’un puissant véhicule 4×4, ou d’une énorme hypocrisie politique, comme celle des masques de protection contre le COVID 19, supposés inefficaces tant qu’ils étaient indisponibles, pour – mal – dissimuler une faute de gestion. N’est pas pas Bruno Giordano qui veut !

L’hypocrisie est largement développée dans le monde politique, syndical et professionnel.

Comme l’explique Marcel Gauchet dans « Comprendre le malheur français », pour se faire élire la plupart des candidats élaborent les programmes que leurs électeurs attendent d’eux, en sachant pertinemment qu’ils ne pourront en réaliser qu’une faible partie : c’est que leur objectif n’est pas vraiment la réalisation du programme mais plutôt la prise du pouvoir. Il est curieux de constater combien cette pratique hypocrite ayant cours depuis des décennies, elle fonctionne toujours, et surprend même encore ! Serions-nous plus ou moins complices de cette comédie ?

Dans le monde professionnel, les mauvaises conditions de travail qui le rendent inefficace ou dangereux, le sexisme, la discrimination, les abus de pouvoir, voire l’humiliation, sont parfois acceptés par contrainte et lassitude. Chacun « ferme les yeux » et on se tait, faute de pouvoir faire autrement, et poursuit ses activités dans un climat de mal-être et de souffrance. Absentéisme, stress, dépressions et burn’out … lèvent le voile.

Frédéric Nietzsche expliquait l’hypocrisie de façon percutante: «  Nous avons l’hypocrisie  pour ne pas mourir de la vérité ».

Oui, pour désagréables qu’ils soient, le mensonge et l’hypocrisie sont des moyens de protection de notre vie privée, et leur emploi n’est pas systématiquement coupable et condamnable. L’exemple le plus courant est la réponse que nous faisons à la question  ordinaire « Comment vas-tu ? » qui donne lieu dans bon nombre de cas à un mensonge lui aussi ordinaire, par réflexe de préservation de notre intimité. Car répondre « tout va mal » n’est pas forcément possible, et c’est pourquoi « la vie ordinaire est faux-cul », claironne Adèle Van Reeth, dans un joyeux et émouvant roman, où elle tente de la décrypter.

Dans son « Eloge de l‘hypocrisie », Olivier Babeau lance une alerte et nous met en garde contre la possible disparition de l’hypocrisie ! Ne riez pas, c’est sérieux : « L’opacité nous protège », dit-il, et le développement excessif de la société numérique nous conduit, avec notre accord tacite et parfois enthousiaste, vers la transparence à tout va de nos vies. Alors viendra le jour où la tranquillité obtenue grâce à nos petits mensonges et nos confortables et anodines hypocrisies ne sera plus possible… Pour en savoir plus sur notre avenir, l’accès à nos données personnelles et leur utilisation à des fins incontrôlables et suspectes, il suffit de tourner notre regard vers la Chine.… Sommes-nous prêts pour ce monde ?

Finalement, bien que leur présence dans la société soit quasi permanente et leur rôle souvent essentiel au fonctionnement plus harmonieux que conflictuel des relations humaines, le mensonge et l’hypocrisie continuent d’avoir une réputation sulfureuse. Pourtant, en n’étant plus dans le déni de leur capacité à nous protéger du caractère de plus en plus intrusif de notre environnement, nous pourrions plus facilement en détecter la forme plus ou moins nocive, écarter les incompréhensions, et peut-être nous rendre la vie plus douce…

Malgré tout, disons-le clairement : exprimer la vérité reste bien sûr le meilleur choix de réponse à une question… lorsqu’aucun obstacle ne s’oppose à la formuler, et avec le discernement qui s’impose.     

Nous voici revenus à notre point de départ : la bonne nouvelle c’est que le Père Noël peut tout à la fois exister et ne pas exister, il n’y a à cela ni mensonge ni hypocrisie….

Ouf !

le 11 juillet 2020

Sources : « Le Banquet » Platon, Livre de poche ; « Le droit de mentir », Emmanuel Kant, Benjamin Constant, Livre de poche ; « Traité des vertus » Vladimir Jankélévitch  Champs Essais ; « Les grecs ont-ils cru à leurs mythes ? » Paul Veyne Points Essais ; « Eloge de l’hypocrisie », Oliver Babeau, Editions du Cerf ;   « La vie ordinaire » Adèle Van Reeth, NRF Gallimard ; « La pensée complexe », Edgard Morin, Edition Points ; « Comprendre le malheur français », Marcel Gauchet, Eric Conan, François Azouvi, Editions Folio Actuel.

Merci à Amélie Bigeard pour sa relecture et son avis.

%d blogueurs aiment cette page :