Les pigeons du roi.

Conte satirique.

Il était une fois, dans un pays lointain, un roi débonnaire qui n’avait rien d’un roi. Il était normal, sympathique, mais insouciant, et bien que se disant très proche de son peuple n’était guère intéressé par sa fonction. 

Ayant trouvé une charmante jeune femme plus à son goût que la reine, il s’est délesté de cette dernière dans des conditions peu glorieuses, laquelle en a fait un scandale, brisant au palais royal moult vaisselle et objets précieux pour se venger de sa disgrâce. Le roi n’en avait cure, et a fini par installer au palais sa nouvelle conquête.

Aspirant à sa romance plus qu’aux affaires du royaume, il décida de jeter l’éponge, de se choisir un successeur, et de soumettre sa proposition au peuple. N’ayant pas d’idées, il s’adressa à un professionnel de la politique, influent conseiller d’un précédent roi, bien connu pour son carnet d’adresses. Lequel lui présenta en peu de temps un jeune et brillant sujet qui disposait des atouts pour faire l’affaire.

Les présentations faites et le candidat immédiatement adoubé, le futur roi se mit aussitôt en marche pour élaborer une attrayante présentation au peuple de ses idées pour gouverner. Et pour mieux rassembler il se déclara susceptible de réunir toutes les opinions en même temps et dans un seul mouvement, ce qui, sa jeunesse aidant, ne pouvait que séduire.

Il s’était notamment engagé à ce qu’il n’y ait plus de gueux dans les rues du royaume qui en étaient infestées, et le peuple semblait vouloir faire confiance à ces nouvelles et généreuses idées. Au jour dit il fut donc intronisé, et s’installa au palais, accompagné de son épouse, dont l’arrivée fit grand bruit par son inhabituelle différence d’âge avec le roi à l’opposé des coutumes royales, et par sa passion pour une riche mode vestimentaire.

Malheureusement, quelque temps après son installation, le pays connu une hausse phénoménale des prix du fourrage et du blé, de telle sorte qu’une importante partie de la population, déjà vulnérable en raison de revenus situés sous le seuil de pauvreté, s’est trouvée en grande difficulté. Il s’en suivit des manifestations massives de ces familles, réclamant de l’aide pour survivre, qui, pour se reconnaître, se distinguaient par le port de chemises jaunes, symboliques du blé, on l’aura compris.

De par ses origines sociales le roi connaissait peu les conditions de vie et les souffrances de cette catégorie de population, dont il sous-estima la gravité de la situation. Il fit réprimer durement les manifestants, qui, peu organisés et mal représentés, résistèrent longtemps mais finirent par abandonner l’inégal combat auquel ils devaient faire face.

Le roi aimait beaucoup développer des idées nouvelles et mettre en place, quoiqu’il en coûte, des réformes qui marqueraient pour longtemps son règne. Mais sa trop grande distance avec le peuple, probablement due à la fréquentation assidue des hautes sphères de la finance, lui rendaient inaudibles les revendications populaires les plus simples.

On se souvient aujourd’hui encore que dans le but de réduire les dépenses de la couronne (une de ses marottes qu’il mettait en œuvre dans tous les domaines à plus ou moins bon escient), il eût l’idée de remplacer les malles-postes qui parcourraient les campagnes pour livrer les courriers, par des pigeons voyageurs ! Plus moderne, plus rapide et très économique ! disait-il.

Il devait pourtant savoir que c’était une idée inadaptée aux attentes de la population, et surtout très inégalitaire, car seule une partie des habitants dont les revenus leur permettraient de posséder des pigeons voyageurs pourrait en bénéficier.

Cette affaire a donc mobilisé les oppositions de tous bords dès son annonce dans les villes et villages par les tambours du roi. Elles prirent de plus en plus d’ampleur puisqu’il y eut des rassemblements dans tout le pays, les manifestants considérant que le roi les prenait pour des pigeons.

Mais rien n’y fit. Le roi était persuadé que le peuple qui se révoltait était incapable d’avoir la hauteur de vue nécessaire pour apprécier les atouts de sa réforme qu’il estimait inéluctable pour les finances de l’avenir du royaume.

La suite de l’histoire s’étant perdue dans l’écoulement des siècles, on ne sait pas comment les choses se terminèrent. Mais selon les historiens la population de ces temps a été marquée par le comportement méprisant de la plus haute instance du pays dans sa volonté d’imposer sa réforme.

Comme s’il s’agissait d’un effet secondaire, l’exemple était donné qu’une opinion qui vous est contraire ne mérite pas d’attention. Si bien que les comportements irresponsables, les individualismes, et les conflits insensés se sont multipliés. Les murs des villes servirent pour la première fois de support pour appeler à la résistance, tandis que les échanges publics dans la population devinrent souvent haineux, parfois même violents.

De nouvelles rumeurs sans fondement circulaient tous les jours, et un auteur spécialisé dans les enquêtes et pamphlets insinua que la réforme du roi serait née chez un bon ami à lui, éleveur de pigeons voyageurs, bien connu dans le royaume. Mais l’affaire fut rapidement classée sans suite.

Il se raconte aujourd’hui que ce roi qui se vantait d’avoir étudié la philosophie et n’entendait pas son peuple n’avait probablement pas rencontré Platon. Car si tel avait été le cas, celui-ci lui aurait vivement conseillé de sortir plus souvent de sa caverne, de préférence à pied plutôt qu’en carrosse, afin de mieux recevoir la lumière, et d’être ainsi mieux éclairé.

Alexandre Adjiman

Le 15 Février 2023

Dans mes lectures :

« L’absurde », sous la direction de Raphaël Enthoven, Éditions Fayard 2010

« Le goût de vivre » extrait de « Impromptus » André-Comte Sponville PUF 1996

« Éloge de l’ironie » Vincent Delcroix, Éditions Gallimard, Folio 2010

« Éloge de la folie » Érasme, Éditions Flammarion

« Controverse sur Le droit de mentir » entre Benjamin Constant et Emmanuel Kant, Éditions des Mille et une nuit

« L’art d’avoir toujours raison » Arthur Schopenhauer, ré-édition 2020 Éditeur indépendant

Le patch de Zoé

Le patch anesthésiant de Zoé

Zoé a trois ans et demi et je suis son grand-père. Elle habite Rennes.

Samedi dernier Zoé devait avoir une prise de sang, et naturellement elle ne sait pas encore ce que signifie une prise de sang et comment ça se passe.

J’étais en visite chez ses parents pour le week-end, et, avec sa maman et sa grande sœur, nous nous sommes rendus au laboratoire où rendez-vous avait été pris, tandis que son papa partait au marché. Sur recommandation du labo, un patch anesthésiant avait été préalablement posé sur le bras de Zoé une heure avant le rendez-vous. Zoé n’avait fait aucune difficulté à cette pose, les enfants aimant bien, comme on le sait, avoir un pansement à montrer, d’autant plus qu’il n’y avait dans le cas présent aucune blessure douloureuse à panser !

Arrivés au laboratoire, l’ordonnance et les documents étant remplis, il y a un peu d’attente imprévue dans le planning.

Dans la salle d’attente, à la demande de l’infirmière, la maman de Zoé retire le pansement anesthésiant. Puis l’attente se faisant longue, elle doit s’absenter pour accompagner Anna-Eve, la grande sœur de Zoé, à sa leçon de piano de l’autre côté de la ville. Un peu inquiète de devoir me laisser Zoé dans cette situation, je la rassure, et elles partent.

Peu de temps après, l’infirmière appelle Zoé, et nous entrons tous les deux dans une toute petite pièce d’environ six mètres carrés où doit avoir lieu la prise de sang. C’est une pièce assez impressionnante avec des appareils partout, et son grand fauteuil médical muni de repose-bras, fauteuil qui paraît d’autant plus énorme que la pièce est petite…  J’imagine que bien des adultes venus pour une prise de sang peuvent se sentir mal  à la vue de cet ensemble, mais Zoé est parfaitement tranquille et observe tout ce qui se passe.

L’infirmière suggère que je m’asseye dans le fauteuil pour prendre Zoé sur les genoux, puis appelle une autre infirmière pour m’aider à tenir Zoé, en cas de besoin me dit-elle… Ce qui n’a pas pour effet de me rassurer, mais qui n’inquiète absolument pas Zoé, toujours imperturbable, bien que nous soyons maintenant trois autour d’elle, à la maintenir d’une manière ou d’une autre !

Un garrot est posé, Zoé regarde son bras dénudé, et là où habituellement nous détournons le regard, observe sans dire un mot l’aiguille de la seringue s’enfoncer légèrement sous la peau, tandis qu’elle aperçoit qu’un petit tube se remplit d’un liquide rouge…

Tension palpable dans la pièce : personne ne bouge, personne ne pipe mot, tandis que par deux autres fois le petit tube est retiré pour être remplacé par un autre qui se remplira aussitôt… Une longue minute s’est écoulée.

Puis le garrot est défait, l’aiguille retirée, un petit pansement apposé, et Zoé reçoit à ce moment de la main de l’infirmière une superbe image d’animaux, très colorée, sur laquelle est marqué : DIPLÔME décerné à ZOÉ pour la féliciter de son comportement exceptionnel.

Très fière, elle le montrera à sa maman qui arrivera quelques instants plus tard, s’étant dépêchée de revenir soutenir Zoé, après m’avoir envoyé plusieurs messages pour me faire savoir qu’elle arrivait.

A la réflexion, je trouve que Zoé a fait preuve d’une belle confiance envers son grand père. Cette immense confiance, dont j’ai été l’heureux dépositaire, a quelque chose d’émouvant. Car nous savons qu’elle se fera de plus en plus rare au fur et à mesure de l’entrée de Zoé dans le monde des grands. Et si je connaissais naturellement les risques liés à la piqûre,  je ne l’avais nullement préparée à la possible douleur, faisant peut-être confiance à la petite anesthésie locale du pansement, et n’ayant pas le courage de lui transmettre une peur inutile par avance… Les choses auraient donc pu se passer beaucoup plus mal, auquel cas Zoé aurait peut-être changé de regard sur son grand père…

Mais si j’évoque ici cette petite aventure enfantine, c’est que je lui trouve beaucoup d’affinités avec notre quotidien d’adultes, et notamment des liens étroits avec le célèbre mythe de la caverne de Platon*, et ses habitants enchaînés.

L’innocence de Zoé due à son jeune âge, n’a-t-elle pas, en effet, une similitude avec la croyance que la réalité se résume à ce qu’elle sait, au même titre que pour les habitants de la caverne elle se résumait aux seules ombres sur les parois qu’on voulait bien leur projeter, et qu’enchainés ils  étaient persuadés que le monde n’était rien d’autre ? Mais était-ils vraiment enchaînés, et délivrés acceptaient-ils volontiers l’inconfortable réalité du monde ?

Des patchs ne nous sont-ils pas régulièrement posés pour faciliter l’acceptation de décisions que l’on désire nous imposer ? N’en doutez pas, et si tel est le cas, vous lirez utilement « Divertir pour dominer » proposé dans la bibliographie ci-dessous.

Quant aux piqûres, que dire de celles qui, parfois indolores mais aussi parfois douloureuses, pour lesquelles nous tendons quelques fois le bras, par habitude ou par lassitude, pour être finalement dans une servitude volontaire comme dirait La Boétie, dans son célèbre essai éponyme ?

Enfin, bien qu’adultes, sommes-nous vraiment moins sensibles aux diplômes, médailles, et reconnaissances diverses que les enfants ?

C’était une petite vision philosophique tirée d’un évènement banal, survenu à une petite fille de trois ans et demi…

Alexandre Adjiman

Le 25 février 2021

Epilogue : pour la toute petite histoire, une fois sortie du laboratoire Zoé a malencontreusement lâché son diplôme qui s’est envolé avec une bourrasque, et malgré nos efforts pour le récupérer, il s’est perdu ! Après quelques chaudes larmes et petits bonbons, tout est rentré dans l’ordre… 

Bibliographie

Petit éloge de la première fois, Vincent Wackenheim, éditions Folio,2011

Petit éloge de l’enfance, Pierre Pelot, éditions Folio, 2007

La condition humaine en partage, Marc Augé, éditions Payot-Rivages 2021

Divertir pour dominer, Collectif, éditions de L’échappée/ De la découverte, 2010

Discours de la servitude volontaire, Etienne de la Boétie, (1576) éditions Librio

*Le Mythe de la caverne« , Platon, Livre VII de La République. Expliqué en deux minutes sur (c) youtube ici : https://www.youtube.com/watch?v=gK03FpA8S7I

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