« La bonne épouse »

« La bonne épouse » est en tête du box-office annonce la presse… !   C’est  un film de Martin Provost, sorti le 11 mars 2020, actuellement en salles. Martin Provost  c’est aussi « Séraphine » et «  Sage-femme »… Le film m’est chaudement recommandé, j’y vais.

Un film « jouissif » comme le dit la critique. Juliette Binoche et François Berléand, aidés par Yolande Moreau, parfaits pour incarner la femme dans le couple des années 50, soumise au bon vouloir de son époux pour assurer son bonheur par des qualités de parfaite ménagère sachant « tenir sa maison ».

(Le synopsis : Tenir son foyer et se plier au devoir conjugal sans moufter : c’est ce qu’enseigne avec ardeur Paulette Van Der Beck dans son école ménagère. Ses certitudes vacillent quand elle se retrouve veuve et ruinée. Est-ce le retour de son premier amour ou le vent de liberté de mai 68 ? Et si la bonne épouse devenait une femme libre ?)

J’en suis sorti avec la perception des formidables avancées de la société dans le domaine de l’émancipation des femmes grâce à cette révolution culturelle.

En effet, le modèle de « la bonne épouse » qui prévalait dans les années 50 à 70, celui du formatage de la future « femme au foyer » par l’école ménagère (il y en avait des centaines…), c’est la réalisation du fameux trousseau (broderie de draps, serviettes, etc..), l’apprentissage à « cuisiner les bons petits plats qui retiennent le mari », savoir repasser une chemise, se soumettre au « devoir conjugal », être fidèle et économe, etc……

Le film se termine donc en mai 68, avec un final de comédie musicale imaginé sur une danse endiablée, une chorégraphie musclée, et les louanges chantées de la femme libérée.

Malgré cette très bonne réalisation le film m’a mis mal à l’aise sans vraiment savoir pourquoi. Etait-ce parce que pendant la projection il y avait dans la salle un certain nombre de femmes qui s’esclaffaient et commentaient chacun des clichés du comportement de la bonne épouse de ces années-là, dont elles avaient peut-être été elles-mêmes un modèle au vu de leur âge ?

Ou était-ce parce que j’ai eu le sentiment que pour les besoins de la cause le film fait des femmes d’alors, c’est-à-dire pour un certain nombre de nos grands-mères et de celles qui les ont précédées, des potiches, alors qu’elles ne faisaient sans doute qu’être de leur époque ? En tout cas il n’est pas certain qu’un film qui serait tourné dans 50 ans sur la condition des « épouses » d’aujourd’hui montrerait que toutes les femmes sont des Simone de Beauvoir ou des Olympe de Gouges…

Désireux de comprendre je suis retourné voir le film une seconde fois. J’ai compris cette fois que pour accepter la logique de l’explosion de joie finale et l’optimisme affiché sur les  promesses de changement de la condition féminine, il fallait faire semblant d’ignorer la suite des évènements… Pas facile !

Bien sûr il ne s’agit pas de contester les conquêtes de la « nouvelle bonne épouse » vantées par le musical : elle sera maître de son corps (contraception, sexualité, enfants…), elle sera financièrement autonome (compte bancaire, revenus …), elle sera indépendante (formation, métiers…), et aura le choix de sa vie sociale (amour, vie conjugale et maritale)….

Mais patatras ! Nous savons aujourd’hui qu’il y a loin, très loin, des espérances investies dans la libération de la condition féminine en mai 68 à la situation des femmes d’aujourd’hui.

Où en sommes-nous de ce bonheur annoncé ? Que s’est-il réellement passé et pourquoi ?

Dans le domaine conjugal les femmes ne sont certes plus les « potiches » qui nous ont été présentées (pour autant que l’on veuille admettre que cette condition puisse leur être attribuée), mais elles sont victimes d’une nouvelle situation que l’on appelle « charge mentale ». Car la femme conserve son désir d’enfants et accompagne l’homme dans ce même désir. Et si elle porte encore largement les responsabilités de cette charge, elle continue de porter majoritairement celles du foyer, même si elles peuvent en principe être mieux partagées, tout en étant désireuses, à juste titre, de s’accomplir dans les activités professionnelles qui lui sont ouvertes.

La pandémie du COVID 19 et son confinement ont même montré un accroissement de cette charge mentale, alors qu’hommes et femmes étaient exceptionnellement logés à la même enseigne pendant cette période.

De plus la situation des femmes dans le cadre conjugal (ou ce qui en tient lieu), bien que très différente d’hier, ne semble pas avoir fait d’immenses progrès. On y trouve beaucoup de précarité, de violences, d’injustices, d’inégalités, de misère parfois, et l’on a même dû inventer une nouvelle statistique dans le cas des séparations, celle des féminicides.

Quant à la pesante société patriarcale du film, elle n’est évidemment plus la même aujourd’hui, mais est-elle moins patriarcale ?    

Pour qu’elles aient leur mot à dire dans la société et contribuent aux décisions, il y a bien eu des progrès en matière de représentativité des femmes. Mais nous savons que ces progrès ne se sont pas faits en termes d’évolution des mentalités, mais en termes de législation, ce qui est évidemment très différent. Comme pour le racisme ou pour le handicap, nous sommes dans la mise en œuvre d’une discrimination positive. Dans les conseils d’administrations, les élections politiques, les associations, …. la parité hommes-femmes n’est pas un choix volontaire de représentativité destiné à refléter la société, elle est une contrainte. Est-ce une avancée pour les femmes de devoir « exiger la parité » pour exister ? Hum…

Autre démonstration de la puissance du patriarcat dans la société qui ne nécessite pas de commentaire tant il est clair : la naissance des mouvements #balancetonporc et #metoo et les comportements qu’ils dénoncent.

Côté sexisme, selon Catherine Horvilleur, (l’une des quatre femmes rabbins en France), l’origine du « sexisme ordinaire » à l’égard de la femme serait du même ordre que l’antisémitisme, c’est-à-dire de l’ordre du « bouc émissaire ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Le « sexisme ordinaire » est celui qui dans une conversation place de façon automatique la femme dans un rôle subalterne ou secondaire. Les femmes le détectent facilement et l’agression est du même ordre que celle de « l’antisémitisme ordinaire » pour les juifs (les petites blagues dites « normales » et inoffensives qui ne sont rien d’autre que de l’antisémitisme de routine).  Il faut comprendre dans cette analyse de Mme Horvilleur que le sexisme ordinaire ne serait pas plus près de s’éteindre que l’antisémitisme ordinaire… Vous imaginez ?

Qu’en est-il des espoirs mis dans le travail et les ouvertures professionnelles ? La féminisation des noms : aviateur-aviatrice, auteur-auteure ou écrivaine, ingénieur-ingénieure….Formidable ! Il reste simplement une différence moyenne de 24% dans les rémunérations entre le nom masculin et le lettre « e » de sa féminisation…Il y a bien des lois, mais patience que diable !

Et qu’en est-il enfin de la « libération sexuelle » annoncée dans le final de « La bonne épouse » ?

La façon dont la sexualité des femmes était vécue dans les années 50 n’est bien sûr plus la même aujourd’hui. Bravo pour la contraception, l’IVG, la PMA… Mais la libération annoncée est-elle devenue une réelle libération ou s’est-elle transformée en une tyrannie du plaisir ? Ne voit-on pas aujourd’hui des mouvements pour dénoncer la pression de la performance sexuelle, tant du côté féminin que masculin, avec même des phénomènes de rejet pur et simple ?

Au final le film donne le sentiment que de la femme des années 50 ne choisissait pas sa vie, suivait un chemin tout tracé et immuable, et que mai 68 avait ouvert de nouveaux choix de vie dans tous les domaines : vie conjugale, vie de famille, vie professionnelle, vie sexuelle, bref dans toute sa dimension humaine.

C’est vrai, la femme peut désormais mieux choisir sa condition, mais nous venons aussi de voir quelques-uns des effets pervers de cette liberté.  S’il n’est pas nécessaire d’attendre 50 ans pour écrire « la bonne épouse » version 2020, il n’est évidemment pas non plus question de dire « c’était mieux avant ».

Mais le rêve libérateur du final de « La bonne épouse » s’est trouvé perverti pour atteindre les graves dégradations que nous connaissons. Que s’est-il passé ?

Peut-être que ce que nous aimerions au fond, au-delà de toutes les nouvelles et incontestables libertés acquises dans le domaine des relations entre les hommes et les femmes (procréation, identité, formation du couple…), c’est tout simplement plus de respect, de bienveillance, d’écoute, et d’attention des uns envers les autres.

Pas  de nécessité de lois, de technologie, de combats ou d’argent pour cela.

Anne Dufourmantelle, psychanalyste et philosophe écrivait : « L’amour est l’art de la dépendance* ». Bien sûr, car qu’est-ce qu’un amour sans dépendance ? Ce qui me semble important ici c’est le mot « art », car toute la réussite de la relation amoureuse est inscrite dans cet « art », si difficile à exercer, mais si passionnant !

Cette vision de l’exercice d’un art dans la relation de dépendance amoureuse ne pourrait-elle pas aussi s’appliquer à l’ensemble des relations entre les genres ? Après tout, les hommes et les femmes ne vivent-ils pas déjà dans la dépendance les uns des autres pour l’éducation, la santé, le travail, les loisirs… ?

Toutes et tous artistes ? Est-ce possible ? Oui, le monde n’avance que par utopies, c’est prouvé !

 Trêve de réflexions : allez-voir « La bonne épouse », vous passerez un très bon moment !

Le 5 juillet 2020

  • Anne Dufourmantelle, « Eloge du risque » livre de poche 

Auteur : Versus

Blog de commentaires sur les faits de société, les films, les livres, la créativité, la politique, les comportements individuels, l'antisémitisme, l'entreprise, l'économie, la famille, et d'une manière générale tout évènement susceptible d'apporter des changements... Je suis Médiateur Professionnel à Tours.

Une réflexion sur « « La bonne épouse » »

  1. Encore un superbe article qui nous fait réfléchir sur notre société …
    Évidemment , il n’est pas question de remettre en cause les avancées sociales et personnelles qu’a amené Mai 68 , , et si nous nous étions lourdement trompé , quand j’écris « nous » , je veux dire nous, en tant que société , en tant qu’ êtres humains (hommes et femmes confondus) , tous ces abus , ces violences exercés contre les femmes depuis des siècles , de même que les abus et violences que l’on note aujourd’hui de certaines femmes contre certains hommes , sans communes mesures par leur nombre bien sur , et si le vrai seul combat qui vaille eu été l’abolition des Pouvoirs au profil d’un respect mutuel que l’on pourrait appeler Amour ..?
    Merci encore Alexandre pour ce travail fort intéressant !

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