Spontanéité, Humour, Insolence… ne nous quittez pas !

La spontanéité est un trait de caractère ou un comportement qui implique d’agir ou de réagir de manière naturelle, sans planification préalable ou sans contrainte externe. Cela peut se manifester de différentes manières, comme dire quelque chose sans réfléchir, agir selon ses impulsions, ou exprimer des émotions sincères sans retenue. La spontanéité est souvent associée à l’authenticité et à la vivacité d’esprit, et elle peut être perçue comme rafraîchissante et charmante dans de nombreuses situations sociales. Cependant, elle peut aussi parfois conduire à des actions imprudentes si elle n’est pas équilibrée par la réflexion ou la prudence.(Chat GPT)

Spontanéité : retenez bien ce mot, car je vais vous montrer à partir de quelques informations dans l’air du temps, qu’il est appelé à entrer dans le dictionnaire du vieux français, et que vous risquez bien de l’oublier pour la simple raison qu’il n’aura bientôt plus rien à nommer …. Démonstration.

« Bernard Pivot est mort » titre le journal 20 minutes, qui commente l’ambiance de son émission : « Cette émission qu’il anime en direct, après le Concerto pour piano numéro 1 de Rachmaninov, est indétrônable le vendredi soir. On y rit beaucoup, on rivalise d’esprit, on fume et on boit, on s’insulte, on s’embrasse… Les géants des lettres se succèdent dans ce salon d’un nouveau genre où Bernard Pivot sait créer une intimité et réunir des duos improbables. Cavanna essaie de faire taire un Charles Bukowski ivre mort avec un fameux « Bukowski, je vais te foutre mon poing dans la gueule ! », auquel Pivot ajoute : « Shut up… ». Soljenitsyne y défend L’Archipel du goulag et ses mémoires. Marguerite Duras lui avoue : « On boit parce que Dieu n’existe pas. »

MERCI Monsieur Pivot, rien que de vous savoir disparu vous nous manquez déjà… !

Inutile de procéder à une longue démonstration pour constater combien le téléphone portable, loin de permettre et multiplier les échanges verbaux spontanés, vous met à distance de votre interlocuteur même lorsqu’il est devant vous : soudainement happé par une « notification », ce n’est pas lui qui a disparu, c’est vous ! Il s’en excuse (parfois), mais ça ne rend pas la relation plus vivante sur le plan des réparties !

Les jeunes de 20 à 25 ans ne sont, quant à eux, pas dans le meilleur des mondes de la spontanéité en matière de sexualité selon une enquête de Philosophie Magazine, qui titre en couverture de son numéro de mai à leur sujet : « Sexe, qu’est-ce qui coince ? » A partir d’une enquête le journal met en évidence leur difficulté à être spontanés sur ce créneau, prisonniers qu’ils sont d’une part des injonctions contradictoires en vogue sur les notions de couple, de genre, de relation homme/femme, d’autre part des normes conservatrices séculaires qui persistent dans leur environnement familial ou amical.

A ce contexte s’ajoute le développement de l’idéologie woke qui tend à faire de chacun de nous un suspect, à la fois oppresseur et oppressé, ce qui ne nous encourage pas à la spontanéité dans les conversations, même entre amis ! La Revue des Deux Mondes (avril) explique que si vous êtes juif vous êtes forcément l’oppresseur des palestiniens tout en étant victime de l’antisémitisme, que si vous êtes un homme blanc votre mentalité est indubitablement suspecte de colonialisme et contribue, de façon inconsciente mais réelle, à votre comportement patriarcal, … Si vous êtes un écrivain et que votre roman comporte des personnages féminins vous seriez bien avisé que votre écriture soit révisée et corrigée par une auteure (une femme donc) avant publication. La spontanéité de votre écriture risque bien d’être mise à mal…

De quoi s’interroger sur la puissance de cette vague  woke et sur ses notions de morale et de décadence, qui reviennent régulièrement nous hanter, et dont la spontanéité est une victime collatérale. « Le tableau volé », un film actuellement en salles déroule l’histoire vraie des « Soleils d’automne », un magnifique tableau d’Egon Schiele volé par les nazis et retrouvé par hasard dans le grenier d’une maison de Mulhouse. Ce tableau avait été saisi en raison de son caractère « décadent » selon l’idéologie nazie. Je vous le recommande, la narration et les acteurs sont excellents !

Mais ne désespérons pas ! Voici une bonne nouvelle pour la sauvegarde de la liberté d’expression et la spontanéité : dimanche prochain, jour de l’émission de la chroniqueuse Charline Vanhoenacker sur France Inter, « Le grand dimanche soir », les six principaux syndicats ont déposé un préavis de grève. Un mouvement pour contester la décision de suspendre le chroniqueur Guillaume Meurice pour avoir traité Benyamin Netanyahou de « nazi sans prépuce », et pour la défense d’une radio dont la liberté de ton, l’humour et l’insolence sont la marque de fabrique, selon le communiqué.

Une fois de plus la résistance s’impose, en effet !

Alexandre Adjiman

Le 8 mai 2024

C’est quoi l’amour ?

J’aime flâner dans les librairies et j’ai beaucoup de difficulté à ne pas acheter toutes les idées de lectures qui me font envie ! L’autre jour, à la très bonne librairie Labbé à Blois, m’étant finalement décidé sur trois livres, je découvre à la caisse un « tract » dont le titre est « C’est quoi l’amour ? ». A 3,50 € vous serez d’accord avec moi pour dire qu’il serait dommage de se priver d’une telle réflexion.

En 27 petites pages c’est un véritable défi ! A ma connaissance, et j’ai assez bien étudié le sujet, personne à ce jour n’est parvenu à en donner une explication satisfaisante, et les philosophes abhorrent le sujet, sinon pour dire qu’il faut s’en méfier terriblement, tant il est source de déraison et de désordres dans la conduite de la vie…

Dès les premières pages, l’auteure, se remémorant sa première rupture amoureuse (elle a 14 ans), se demande : quelle est donc cette folie qui nous pousse à négliger l’intégralité de notre existence au point de nous noyer dans une relation ?

Ayant enquêté autour d’elle, elle nous confirme que personne ne s’accorde sur une explication : il y en pour qui c’est une décharge hormonale réveillant des papillons dans le ventre, d’autres pour qui amour et sexualité sont indissociables ou pas du tout (ou presque), d’autres encore pour lesquels l’amour est la base d’un projet de vie sous un même toit (ou non), et conclut que de toute façon tout le monde aime….! Nous sommes d’accord.

Rationnel ou non, avec des formes et des intensités diverses, l’amour est une constante de l’espèce humaine, écrit-elle. On en trouve des traces dès le paléolithique (20 à 30 000 ans avant notre ère !). Devenu support d’une organisation sociétale de partage, l’amour a été beaucoup plus souvent une transaction économique que le résultat d’une romance. L’invention du mariage a plus ou moins entériné l’affaire, suivie d’autres formes de liens.

Forte de ce constat, Ovidie, (l’auteure, journaliste et animatrice d’émissions radio autour de la pornographie féministe) conclut : ainsi, couple et domination masculine sont, depuis le début de notre histoire, intrinsèquement liés.

C’est à ce stade de ma lecture que je découvre l’objet du tract qui n’est pas d’expliquer en quoi consiste l’amour mais d’en montrer les déviances. Un peu plus loin elle dira que l’amour n’est pas obligatoire et que dans l’amour on ne peut attendre de l’autre qu’il nous satisfasse pleinement, qu’il soit l’Alpha et l’Omega de notre bonheur. Elle regrette notamment que dans le conte de La Belle au bois dormant le prince charmant libérera de son sort la belle endormie en l’embrassant sans son consentement.

Nous sommes en 2024, et je me demande si Ovidie ne sous-estime pas quelque peu la capacité des femmes à détecter les situations qui ne leur conviennent pas et à avoir la force nécessaire de s’en détacher. En effet, les femmes sont à 75 % à l’origine des divorces, et il n’y a à priori aucune raison pour qu’il n’en soit pas de même dans les séparations de couples engagés sous d’autres formes.

Revenons au centre du sujet « C’est quoi l’amour ? »

La plupart des auteurs, romanciers, poètes, réalisateurs de cinéma, auteurs de théâtre, psychologues ou psychiatres, etc, l’identifient comme situé au croisement de nombreux comportements.

Ainsi l’amour est-il caractérisé entre autres par une forte dépendance affective. Celle-ci n’a été ni voulue, ni décidée, et se trouve plutôt être une surprise. Avec Marcel Proust, fin observateur de la société, je crois qu’on peut dire qu’on a tort de parler en amour de mauvais choix, puisque dès qu’il y a choix, il ne peut être que mauvais.

Autre caractéristique largement reconnue et éprouvée, l’absence de l’être aimé fera très rapidement naître un manque que l’on cherchera à compenser par tous moyens, avec force et persévérance. Parfois le vent de l’amour souffle si fort qu’il ressemble à un cyclone envahissant l’esprit, devenu incapable de penser à autre chose. Une rupture, si elle a lieu, confirmera immédiatement le vide insondable créé par la disparition.

Bizarrement les amoureux peuvent trouver dans ces frustrations un certain plaisir, voire une joie profonde. Dans La rencontre, une philosophie, le philosophe Charles Pépin décrit l’embrasement que provoque l’amour, transformant les êtres, leur donnant des ailes, et la force parfois indispensable pour surmonter des obstacles : différences d’origines, de religion, d’âge, de couleur de peau, amis, familles, enfants…

Parce qu’enfermés dans leur bulle les amants n’entendent et ne voient plus rien, et s’embrassant sur les bancs publics s’foutent pas mal du regard oblique des passants honnêtes, l’amour est aussi une charmante transgression, parfois ressentie comme une incivilité mêlée d’un peu de jalousie.

Puisqu’il n’y a pas d’amour heureux comme le dit Aragon, il n’est pas incongru de penser que les amoureux puissent être dans une forme de servitude volontaire au regard des inéluctables souffrances qui accompagnent périodiquement leur bonheur de s’être trouvés. Ils n’en ont cure, et s’ils se séparent et prennent alors conscience de leurs servitude, ils souffriront mais… recommenceront !

Car aimer est probablement un antidote à l’abandon, cet état que nous chercherons à fuir dès la naissance. C’est pourquoi tout le monde aime, comme le dit Ovidie : délicieux asservissement qui donne envie de déclarer au monde entier : Me too j’aime !

Difficile de parler d’amour sans parler de désir, ce mouvement incontrôlable et fugace, qui balaie tout sur son passage, et qui est l’essence de l’Homme selon Spinoza. Libido, complèterait Freud.

Avec beaucoup d’autres Ovidie met en garde contre les déviances patriarcales de la sexualité. Soit, la prudence est de mise, mais à trop vouloir transformer un mouvement naturel du cœur, ou du ventre avec ses papillons, en un mouvement cérébral et sous contrôle, ne va-t-on pas briser la spontanéité de l’élan amoureux pour l’encadrer dans un formalisme incompatible avec ce que nous avons décrit ci-dessus ?

Aussi suis-je tenté de proposer à Ovidie un autre regard sur le baiser du prince charmant (qui pourquoi pas, pourrait être une femme) à la belle endormie. Qu’il ne soit pas le symbole d’une quelconque domination masculine, mais plus simplement celui de la puissance d’éveil de l’amour.

Gardons une place à l’amour spontané et incontrôlable, au pouvoir de l’élan amoureux, à ses peurs, à ses larmes, à ses joies, à ses ruptures et à ses recommencements !

Sur la relation sexuelle amoureuse chacun dira si elle lui est ou non nécessaire. Il existe heureusement quelques philosophes féministes qui, sortis des poncifs et routines médiatiques, défendent l’idée que lorsqu’il est parvenu au stade de la confiance absolue et d’une connaissance physique très intime, l’amour permet une sexualité sans préalables, préventions ou restrictions, réjouissante et épanouissante.

Le graal quoi !

Alexandre Adjiman

Le 10 avril 2024

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Dans mes lectures :

Avant d’écrire cet article j’ai posé quelques questions sur le sujet à CHATGPT, vous pouvez trouver les questions et les réponses sous le lien suivant : https://chat.openai.com/share/4002e63a-b3e7-4c12-a559-981848ec7285

« C’est quoi l’amour ? » Ovidie, Editions ALT, 2024

« La rencontre, une philosophie » Charles Pépin, Pocket 2023

« Le goût du vrai » Etienne Klein, Tract Gallimard, N°17

« Interview de Manon Garcia », Numéro spécial KANT, Philosophie magazine, 2024

« Ecrire l’amour, de Jane Austen à Mona Chollet » Editions le UN,2022

« Puissance de la douceur » Anne Dufourmantelle, Rivages, 2021

« Réinventer l’amour » Mona Chollet, 2021

« Du baiser » Francesco Patrizi, 1529/1597, 1001 NUITS 2021 Traduction de l’édition originale…

« Eloge du mariage, de l’engagement, et autres folies », Christina Singer Le livre de Poche, 2021

« Le mirage Metoo » Sabine Prokhoris, Le Cherche Midi, 2021

« Eloge du risque » Anne Dufourmantelle, Rivages,2021

« En cas d’amour » Anne Dufourmantelle, Rivages, 2012

« Contribution à la théorie du baiser », Alexandre Lacroix, Autrement, 2011

« Eloge de l’amour » Alain Badiou, Flammarion 2016

(c) Georges Brassens Youtube, Les amoureux des bancs publics

Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?

« Fatigués de devoir réfléchir au menu du soir, des clients s’en remettent à l’inventivité d’entreprises qui leurs livrent ingrédients et recettes à assembler, les délivrant ainsi de la charge du choix » (extrait du journal Le Monde, 23 février 2024).

Nous vivons donc une époque formidable selon l’expression consacrée, d’autant que les entreprises impliquées ont trouvé un bon moyen de justifier le concept sur le plan écologique : l’opération génère moins de gaspillage qu’un repas fait maison dont les quantités ne sont pas ajustées, et les restes parfois inutilisés. Génial non ?

Pourquoi pas, de temps à autre ce n’est pas une mauvaise solution à la charge mentale de la question que nous connaissons tous. Cependant, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais ce qui m’a surtout interpellé dans l’article du Monde c’est le motif qui serait avancé par les clients qui font appel à ce concept : fatigués de devoir réfléchir… Des personnes âgées bénéficient depuis longtemps de la livraison de repas à domicile, mais pour des raisons autrement justifiées !

Comment ça fatigués de devoir réfléchir …. ! ?

On aurait pu s’attendre à ce qu’après une journée de travail ils soient fatigués à l’idée de devoir faire les courses, mais non, vous savez bien : ils se les font livrer en un clic….! C’est donc vraiment réfléchir qui est problématique. Le moteur en panne ici, c’est… le cerveau ! Aîe !

Réflexion faite ne soyons pas surpris : notre attention étant constamment sollicitée par les écrans, il est prouvé qu’une saturation peut survenir sans que nous en soyons conscients. Car nous ne sommes pas seulement informés : sans le faire de façon explicite j’observe que mon opinion est sollicitée dans les conversations auxquelles je suis amené à participer, si bien que ce 21e siècle a parfois des allures de moyen âge avec ses chasses aux sorcières, ses délations, son inquisition, et sa Place de Grève avec ses exécutions publiques.

Qu’il s’agisse de mensonges politiques flagrants, de comportements inappropriés de personnalités du monde du spectacle ou autres faits divers, le besoin de « sensationnel » de la presse l’emporte parfois (souvent ?) sur la qualité et la vérification préalable et sérieuse de l’information : il faut faire vite !

Nous savons donc pertinemment que dans la situation de dépendance des sources d’information dans laquelle nous nous trouvons il ne nous est pas permis d’avoir des certitudes et de formuler un avis sérieux sur telle déclaration ou tel évènement. Si nous sommes alors interrogés sur ce que nous en pensons, la précaution minimale serait, par exemple, de donner un avis en émettant des réserves sur la réalité de l’information, ce qui n’est pas toujours bien compris : trop facile ! vous rétorquera-t-on !

Dans le cas particulier des accusations liées au phénomène « #meetoo » qui font régulièrement « La UNE », (et Depardieu, est-il un violeur ?, etc…) la tendance est à oublier l’existence de la présomption d’innocence inventée en 1764 par un jeune et brillant avocat italien de 26 ans du nom de Cesare Beccaria. La règle judiciaire de la présomption d’innocence est une valeur cardinale de notre Droit depuis 1789 et nous aurions bien tort de l’ignorer, voire même de ne pas la protéger en la rappelant en toutes circonstances. En effet, quels que soient le nombre et la gravité des faits dénoncés via un « tribunal médiatique », la présomption d’innocence protège la personne mise en cause de toute idée de culpabilité jusqu’au verdict définitif du tribunal judiciaire seul compétent. Comme n’importe quel acte de résistance, défendre ici ce point de vue ne vous vaudra pas que des amitiés. Néanmoins ce point de vue est, en ce qui me concerne, actuellement le seul valable dans un pays démocratique et dans un Etat de Droit . C’est bien heureusement notre cas !

Pour revenir à ceux dont l’esprit est trop fatigué pour décider de ce qu’ils vont préparer à diner, j’ai pu lire qu’il existait une autre raison pour laquelle ils pourraient décider de s’éloigner de leurs écrans.

Dans les années 1970, le philosophe et sociologue marxiste germano-américain Herbert Marcuse (1898-1979) a vu, au sens visionnaire du terme je cite « que la société de consommation conduisait à l’amputation du désir, à l’extinction de l’aura, et à la création d’un homme numériquement modifié (qu’il appelle l’homme unidimensionnel, NDLR) par la folie de la raison marchande, sous-tendue par une addiction consumériste jamais satisfaite« .

Difficile de ne pas penser à Freud, pour qui la satisfaction du désir permet de mieux vivre, (je ne vous fais pas de dessin), et au récent sondage qui montre une importante baisse d’intérêt en France pour la sexualité, notamment chez les plus jeunes.

L’amour aussi est une valeur cardinale, pour la très bonne et simple raison qu’il n’a justement rien à voir avec la raison, et même que, selon le dernier opus de Régis Debray, il est une respiration…. Prenez garde à ne pas vous arrêter de respirer !

Alexandre Adjiman

le 24 février 2024

Dans mes lectures :

« La dictature des sentiments, sauver la liberté de penser » Eugénie Bastié, Editions Plon, 2023

« Pêcheur de perles » Alain Finkielkraut, Editions Gallimard 2024

« Sauver la différence des sexes » Eugénie Bastié, Tracts Gallimard, 2023

« Eloge moral du paraître » Renaud Camus, Auto édité, 2022

« Bref » Régis Debray, Gallimard 2024

Philosophie Magazine Février 2024 Extrait d’une interview de Annie Lebrun

« A-t-on encore le droit de changer d’avis? » Blandine Rinkel Editions de la Martinière 2023, collection ALT

« Des délits et des peines », Cesare Beccaria, Editions Rivages le Livre de Poche 2014

Chers migrants, vous allez nous manquer….

Mais où est donc passée la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen adoptée par les Révolutionnaires en août 1789 et que le monde entier nous envie ? Elle énonce le principe fondamental, successivement confirmé dans le Droit Européen, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (adoptée par les Nations Unies), et notre constitution, à savoir que « tous les Hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits, et qu’ils doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Tous ces textes ont mis des siècles à nous parvenir. L’esprit de Voltaire dans son traité sur la tolérance, celui de Rousseau sur l’origine des inégalités, le savoir vivre de Montaigne, l’Esprit des Lois de Montesquieu, l’amour infini de Simone Veil pour la fraternité, doivent persister dans leurs finalités. 

Oui, chers migrants, je vous écris pour vous dire ma consternation devant la « Loi immigration » qui déclare vouloir vous rejeter, votée contre toute attente par l’Assemblée Nationale Française le 19 décembre dernier.

Je pourrais dire avec l’écrivain Nadir Dendoune, qui interpelle Emmanuel Macron dans le journal Libération pour lui dire qu’il a trahi ses engagements, que vous allez nous manquer pour occuper tous ces emplois dont nous ne voulons pas, je le cite : Qui nettoie nos bureaux à 2 heures du matin ? Qui trime sur les chaînes de tri de nos déchets ? Qui nous soigne à l’hôpital, du médecin à l’aide-soignant ? Qui ramasse nos poubelles ? Qui fait la plonge ? Qui refait les chambres d’hôtels tous les jours ? Qui nous répond dans les centres d’appels d’urgence jour et nuit ? Qui construit les immeubles de vos villes ? Qui ramasse les fruits et légumes dans vos champs ? Qui trime sur les chantiers de vos Jeux olympiques ?

Mais NON ! Ce n’est pas ce que je veux dire quand je dis que vous allez nous manquer ! Assigner votre rôle à ces quelques fonctions domestiques est bien trop restrictif, et beaucoup trop loin de la réalité des richesses que nous vous devons.

Nous vous devons d’abord et avant tout la leçon de courage qui est le vôtre de choisir de changer votre destin au péril de votre vie et parfois celle de vos enfants, ce que nous ne savons pas très bien faire tant nous aimons notre petite zone de confort, même si elle s’avère inconfortable. Vous n’êtes ni dans les compromis ni dans les compromissions de nos sociétés dites « modernes », vous êtes l’espérance personnifiée, vos yeux brillent pour l’avenir tandis que nous avons perdu nos illusions. A ce titre vous avez une valeur d’exemple. Que ceux qui en doutent n’hésitent pas à aller voir « Moi Capitaine », actuellement sur les écrans de cinéma, car non, ce n’est pas par plaisir que vous venez jusqu’à nous, et notre petite Loi immigration ne vous découragera peut-être même pas ! Tant mieux !

Nous vous devons aussi la découverte de la diversité de vos cultures. J’ai visité récemment le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille (MUCEM), et son exposition intitulée « Le grand Mezze ». Le musée fait apparaître le mélange de toutes vos cultures si vivantes, tout autour de la Méditerranée, et l’apport considérable des échanges que nous pouvons y faire, ainsi que votre amour du partage, dont nous bénéficions.

Que lèvent la main ceux d’entre vous qui me lisez, qui n’ont pas aimé découvrir en famille ou avec des amis la cuisine libanaise, marocaine, grecque, italienne, juive, syrienne, algérienne, tunisienne…. Comment ce plaisir est-il arrivé dans votre assiette si ce n’est parce que vous les migrants êtes venus jusqu’à nous, et que notre tradition est de vous accueillir ? 

Mais nous ne vous devons pas que des travaux pénibles ou des plats savoureux ! Par exemple nombreux sont les artistes venus à Paris à la rencontre de la liberté de création que nous leur offrons. Bien sûr, ils ne sont pas venus dans les mêmes conditions ou pour les mêmes motifs que vous, ils ont fui des guerres ou des régimes fascistes, mais ils étaient de toute façon, eux aussi, des exilés.

Parmi eux se trouvaient Modigliani, Dali, Man Ray, Tamara de Lempicka, Alfons Mucha… Ce dernier, d’origine Tchèque, était Franc-Maçon et profondément humaniste, ce qui lui a valu d’être arrêté par la Gestapo. Sa peinture s’inspirait de motifs japonais, celtiques, et grecs. Ses affiches, qui s’arrachaient sur les colonnes Morris pour être collectionnées ont contribué à la notoriété de l’actrice de théâtre Sarah Bernhardt, et sont même à l’origine de l’Art Nouveau !

Je n’oublie évidemment pas Marc Chagall exilé de Russie, dont la peinture n’est pas seulement délicate, enchanteresse, et poétique, mais d’une grande richesse symbolique sur les thèmes de l’amour, de la fraternité, de la musique, de la joie, du judaïsme et des souffrances lorsque l’Humanité se fait inhumaine.

La France rayonnait alors de la présence de tous ces étrangers, Paris était la Ville Lumière où il fallait être vu, travailler et créer. Leur réussite ne doit pas nous faire oublier qu’ils sont arrivés les poches vides eux aussi. Et que l’étranger n’est pas simplement « utile » à nous permettre de cocher les cases des « métiers en tension » comme on voudrait bien nous le faire accepter. Il apporte avec lui un autre regard, une autre forme d’esprit, peut-être comme le ferait un enfant, et une ambition née de l’obligation qu’il a de faire sa place. Bref, il nous apporte son patrimoine immatériel, venu d’un ailleurs, mais de la même planète que celle où nous sommes, et dont venons d’avoir un petit aperçu de la richesse.

Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent en ce moment même pour faire abroger la loi, avant que peut-être, le 25 janvier prochain, le Conseil Constitutionnel la déclare contraire à notre idéal de Liberté et de Fraternité, et donc inapplicable. C’est peu probable, cette institution est très conservatrice, corporatiste, elle changera un mot ou deux, il ne faut pas en attendre de miracle. Mais des manifestations de protestation pour empêcher sa promulgation, auxquelles participeront des personnalités de tous horizons les dimanches 14 et 21 janvier vont avoir lieu partout en France. Cette mobilisation est indispensable, elle est un acte de résistance qui n’est ni politique ni religieux, ni syndical….

Depuis 1789 la fraternité universelle et l’accueil de l’étranger sont notre ADN. Promouvoir cette fraternité n’est pas un acte politique, c’est un acte humaniste. En revanche l’extinction de la fraternité universelle par l’extinction du migrant est un acte politique puisque c’est un parti politique qui l’a signé. Et criminel de surcroit.

Alexandre Adjiman, le 11 janvier 2024

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Merci à Florence L. pour toutes ses contributions. Merci à tous mes lecteurs de l’année 2023, vous avez été 8% de plus, à 2 160 !

« Seuls les enfants changent le monde », Jean Birnbaum, 2023, Editions du Seuil

« L’hypothèse K », Aurélien Barrau, 2023, Editions Grasset

« Désobéir », Frédéric Gros, 2017, Editions Albin Michel-Flammarion

Alfons Mucha (c) Photo Paris Zig-Zag

Soyons fous !

La Française des Jeux propose ces jours-ci un tirage gagnant à 200 millions !

Au Bar des Amis, qui fait le coin de la rue et où je me rends régulièrement pour un café, je demande au patron s’il croit que si on gagne il y a l’argent, si ce n’est pas une arnaque. « Affirmatif » me dit-il.

Je m’apprête donc à acheter un billet quand un voisin de comptoir me demande si je suis disposé à répondre à quelques questions. Il est journaliste et fait une enquête.

Quel journal ?

La République Bisextile, me dit-il. C’est un journal qui sort tous les 29 Février, et nous préparons le numéro de 2024…

Ha ha ha ! Quelle idée géniale ! dis-je, OK, posez vos questions!

J’en ai une seule : si vous gagnez qu’allez-vous faire de vos 200 millions ?

Je n’y avais pas réfléchi vu qu’il n’y a qu’une chance sur 140 millions de gagner le jackpot ! Mais elle existe quand même … Bon voyons mes rêves…

Ce qui me ferait très plaisir c’est par exemple d’être téléporté par un hologramme ou tout autre moyen, qui me permettrait de rendre instantanément visite à mes cousins et toute mes familles qui se trouvent un peu partout dans le monde, pour passer un bon moment avec chacun d’eux.

Une autre de mes envies est de pouvoir discuter et poser des questions que je regrette de n’avoir pas posées à des personnes qui me sont chères, qui sont mortes depuis, et qu’elles me répondent.

Par exemple ? Demande le journaliste.

Oh ce ne sont pas des questions très importantes. Par exemple mon père recevait chaque année une caisse de pamplemousses qu’il prenait au petit déjeuner. Je n’ai jamais su qui lui faisait ce cadeau … C’est idiot mais j’aurais aimé le savoir ! Et sûrement plein d’autres questions évidemment ! Peut-être un job d’avenir pour l’IA ?

Cette autre envie n’est pas mon idée mais qu’importe : j’aimerais que plus personne n’ait besoin de faire la manche dans la rue : c’était dans le programme de Macron saison 1, mais il a dû oublier. Il devrait se dépêcher de jouer parce qu’il part bientôt…

Je ne crois pas que ces 200 millions soient très utiles pour arrêter les guerres qu’il y a un peu partout, parce que j’ai l’impression que dans le domaine des armes il y a beaucoup de pays qui ont l’argent qu’il faut, tandis que d’autres vendent à crédit à ceux qui n’en ont pas… Laissons tomber…

Si avec cet argent je pouvais remonter le temps jusqu’au 17 février 1600, j’irai immédiatement sauver Giordano Bruno du bûcher de l’Inquisition catholique sur le Campo de Fiori à Rome, parce que condamné pour avoir affirmé que la terre tournait autour du soleil et refusé d’en démordre. A ce jour l’Eglise ne s’en est pas repentie, contrairement à Galilée. Forcément, face au bûcher il avait fini par céder à l’héliocentrisme, tout en marmonnant et en croisant les doigts derrière son dos « et pourtant elle tourne ! »Coquin !

Et aussi en allant vers Rome façon Batman, j’irai trouver Marc Chagall et l’embrasser pour les émotions qu’il me procure avec ses peintures.

Enfin, si le film « Retour vers le futur » pouvait devenir une réalité, je ferai bien le voyage inaugural du Titanic vers New-York, mais sans l’iceberg ! Pas vous ?

Alexandre Adjiman

Le 6 décembre 2023

Juif ou Israélien un jour, Palestinien et arabe le lendemain ?..

Impossible de rester insensible devant le débat qui traverse la société et divise parfois familles, collègues de travail, amis et peut-être même amours… L’injonction à prendre position sur le conflit Israël-Palestine, qu’elle soit clairement exprimée ou objet de sous-entendus, voire de non-dits palpables, oblige à une réflexion.

Si les débats sont difficiles de part et d’autre des deux camps c’est qu’ils sont dominés par l’émotion en raison des horreurs de la guerre et de ses morts, ceux d’aujourd’hui et ceux d’hier aussi, et des otages. S’y ajoutent à foison, la diversité des interprétations historiques des évènements depuis la création de l’Etat d’Israël, et des convictions religieuses aussi inébranlables que peuvent l’être les morts eux-mêmes.

Prenons l’exemple du partage des territoires : j’ai demandé à Chat GPT de me dire « Comment voyager de Judée en Palestine ? » Voici sa réponse :

Il semble y avoir une confusion dans votre question. La Judée et la Palestine sont souvent utilisées de manière interchangeable pour décrire une région géographique, historique et culturelle, mais leur utilisation peut varier en fonction du contexte politique et historique.

Historiquement, la Judée était une région ancienne située dans la partie centrale de la Terre d’Israël, correspondant approximativement à la Cisjordanie moderne. La Palestine, en revanche, fait référence à une région plus vaste qui englobe la Cisjordanie, la bande de Gaza et d’autres parties du territoire actuel d’Israël.

Non, il n’y a pas de « confusion » dans ma question comme le dit l’IA, car le mot « interchangeable » justifie assez bien l’existence d’idées pouvant être opposées les unes aux autres tout en n’étant pas contradictoires…! Allez mettre d’accord des populations et des dirigeants politiques avec ça !

Depuis le 7 octobre et l’horrible action du Hamas, les manifestations de soutien se sont divisées en lutte contre l’antisémitisme d’un côté (plus ou moins pro-juives et pro- israéliennes) et pro palestiniennes de l’autre, l’existence d’une troisième voie paraissant tout simplement impensable.

Pourtant dimanche dernier, 19 novembre, le monde de la culture s’est mobilisé à Paris à l’initiative de l’actrice belge Lubna Azabal et d’Emmanuelle Béart, rejointes par un appel de plus de 500 personnalités de ce même monde culturel, pour une marche silencieuse pour la paix. Le symbole est fort puisque ce monde travaille souvent dans l’imaginaire et le virtuel, et le voici qui s’implique en plongeant dans le réel. Ce faisant, c’est aussi un choix courageux puisqu’il ose refuser le classique choix binaire de la majorité des personnes, en proposant « Une autre voix » : c’est d’ailleurs le nom de l’Association qui défend cette idée.

Plusieurs milliers de personnes ont répondu à l’appel. Partis de l’esplanade de l’Institut du Monde Arabe nous avons longé la Seine et rejoint, deux heures plus tard, le Musée d’histoire et d’art du Judaïsme. Pas de revendications, pas de hauts parleurs, pas de musique ou de slogans, seulement quelques drapeaux blancs, et le lien physique entre deux mondes sensés devoir être éternellement hostiles, créé par la marche d’une foule que l’on sentait incroyablement unie et solidaire. C’était palpable. Pari tenu : il existe encore des hommes et des femmes pour penser l’impensable.

Est-ce que ça change quelque chose ? OUI, puisque l’Histoire montre clairement que tout ce qui se fait un jour et qui paraissait utopique la veille apporte un changement, une nouvelle ressource, une autre vision, un mouvement, et que ce mouvement est capable de briser certitudes et tabous.

Ce n’est pas une simple idée : voici quelques uns de ceux qui viennent à l’appui de cet espoir. Parce qu’ils ont justement permis à l’impensable de se réaliser, il me semble que ce serait faire un affront à leur mémoire que d’oublier leurs luttes et la route qu’ils nous ont montré : Nelson Mandela (Afrique du Sud), Martin Luther King (USA), Kofi Annan (un peu partout), Richard Holbrook (Bosnie), Oscar Arias Sanchez (Costa Rica), Ellen Johnson Sirleaf (Liberia), Jimmy Carter (Israël-Egypte), Mahatma Gandhi (Inde)… Certains l’ont payé d’années de prison, d’autres de leur vie, comme Anouar el Sadate et Yitzhak Rabin entre autres. Suivons les !

Parallèlement sachons reconnaître à ceux de l’enclave de Gaza ou en Israël qui vivent au quotidien la tension d’être à tout moment, et toute l’année, susceptibles d’entendre le son des sirènes qui envoient aux abris, à ceux qui savent qu’en prenant l’autobus ou en se rendant sur un marché ils pourraient ne plus revenir chez eux après un attentat surprise, de ne pas être en mesure de raisonner comme nous pouvons le faire à 4500 kilomètres de là, devant nos écrans.

Aussi, même si nous éprouvons la nécessité de nous faire une opinion sur le sujet comme nous aimons souvent le faire, et quoiqu’il en soit, puisque l’on doit condamner tous les tueries d’où qu’elles viennent, je crois qu’ici une forme particulière de respect vis à vis de ce vécu est nécessaire, c’est à dire de la modération dans nos jugements plutôt que les logiques et certitudes cartésiennes dérivées de notre culture et de notre histoire, bien éloignés des leurs.

Peut-être même faut-il aller jusqu’à reconnaître que nous sommes incapables, (pour cette fois-ci), de porter un jugement éclairé sur le sujet, et faire l’effort de refuser de s’impliquer dans un débat dépourvu de sens, et dans lequel nous sommes malmenés par les commentaires, les images, les fakes news, les réseaux sociaux etc, auxquels sous sommes quotidiennement soumis.

Par exemple demandez-vous dans quelle manifestation vous accepteriez d’aller si l’un de vos proches avait été l’une des victimes de cette guerre….

Diificile de le savoir…. Pour autant il n’est pas question d’en être absents, et quand bien même il est possible que les belligérants eux-mêmes ne le souhaitent pas dans le contexte actuel, ce qui est humain et normal, il reste possible de se prononcer avec fermeté pour la paix, comme l’ont fait les milliers de personnes à Paris. Même si devant vos contradicteurs l’idée parait complètement utopique, ce n’est pas la première utopie qui se verrait réalisée, et vous défendez alors la cause plus juste et la plus humaine qu’il est nécessaire de soutenir et de désirer faire vivre.

Alexandre Adjiman

le 23 novembre 2023

Les larmes d’Isabelle Adjani participante à la Marche pour la Paix

Au Diable l’Homme !

Je me demande qui a été créé en premier, si c’est le Diable ou l’Homme… On voit bien l’importance de la question : si c’est l’Homme qui est venu en premier et le Diable derrière, il me semble possible d’espérer… Je n’ose imaginer qu’ils sont arrivés en même temps…

Ce n’est malheureusement pas Halloween qui en ce mois d’octobre m’inspire la question ci-dessus. C’est évidemment la boucherie humaine du Hamas en Israël. J’avais commencé à écrire « la boucherie inhumaine« .. Mais je me suis ravisé, perpétrée par des hommes cette boucherie est bien « humaine », tragiquement humaine. Il faudra désormais préciser le sens du mot « humain » qui pourra à l’avenir vouloir dire « inhumain »….

Charles Baudelaire, l’auteur des célèbres « Fleurs du Mal », disait que la plus belle des ruses du Diable était de nous persuader qu’il n’existe pas. Le Diable serait un bouc émissaire qui nous permettrait, comme tous les boucs émissaires, d’éviter de trop nous questionner sur nos propres responsabilités, ou d’analyser les évènements de la façon qui nous convient le mieux. Dans le cas présent ça tombe bien ! Le Juif n’est il pas depuis des millénaires le sempiternel bouc émissaire de la plupart des malheurs des peuples ?

Depuis que le monde est monde il y eut bien des massacres, et la liste serait trop longue pour vous les donner tous. Je cite pour mémoire « La nuit de cristal » en Allemagne et en Autriche nazies visant les juifs, (novembre 1938), la St Barthélémy il y a cinq siècles visant les huguenots (Paris, tableau ci-dessous), le ghetto de Varsovie (1943), des épurations ethniques comme en ce moment même dans l’Azerbaïdjan…. Etc…

(c) François Dubois, Musée Cantonal de Lausanne (Suisse)

Une fois de plus la rumeur (insistante) veut nous faire croire que les responsables sont ceux que l’on massacre ! Comment est-il possible, au 21ème siècle, de soutenir une telle thèse ?

C’est pourtant le cas, comme le dit Joann Sfar, l’auteur de la bande dessinée « Le chat du rabbin », d’une partie des français et de leurs élites intellectuelles et politiques, qui ne se prive pas de dénoncer la responsabilité d’Israël dans cette boucherie, du fait de sa politique à l’égard des Palestiniens (interview vidéo de Joann Sfar en fin d’article). D’ailleurs peu de non-juifs participent aux manifestations ou aux pétitions pour condamner le Hamas, et il y en a même qui refusent de reconnaître au Hamas sa nature terroriste.

D’où également l’appel du philosophe Abdennour Bidar, spécialiste de l’islam dans Le Monde : « Vite ! dit-il, une parole claire et forte des représentants de la communauté musulmane de France, totalement inaudible » .

Ce silence est celui d’un antisémitisme ordinaire, rampant, facile, comme celui du sexisme, couramment pratiqué sans le savoir, par habitude et inconscience, et parfois qualifié de « pas grave« .

Interrogé par une journaliste sur ce que je pensais de la situation qu’elle trouvait abominable, je lui ai déclaré que justifier ce massacre comme « une réponse logique » à la façon dont l’Etat d’Israël se comportait à l’égard des palestiniens n’était pas moins abominable. C’est oublier que nous sommes en principe dotés de discernement, et que n’importe quel raisonnement aussi simplificateur sous prétexte d’apparences logiques ne permet pas de tout justifier. Hitler ne s’en est pas privé dans « la solution finale », puisqu’il se sentait agressé par l’existence même du peuple juif, et a réussi à entraîner son peuple dans sa folie. Tel est aussi l’ambition du Hamas qui veut rayer Israël de la carte du monde.

Je veux aussi évoquer ici l’assassinat du professeur Dominique Bernard, poignardé dans son lycée d’Arras parce que professeur. Comme pour Samuel Paty tous les enseignants se sentent agressés dans leur identité d’enseignants et sont atteints par le coup de couteau. Mais pas seulement les enseignants, tous ceux qui sont proches à un titre ou un autre de cette communauté. A part les terroristes qui ont la leur, ici personne ne pense à chercher une quelconque « logique » à ces actes dans la façon d’enseigner des professeurs. Tant mieux ! Car ici nous sommes dans l’obscurantisme, la barbarie qui veut tuer le savoir, la connaissance, et l’esprit critique de la jeunesse.

Le dictionnaire Littré dit du mot « diable » qu’il est le principe moral du mal en général. Il ajoute que « le diable tenta nos parents dans le paradis terrestre ». Symboliquement il ne fait aucun doute que le diable n’est autre que le célèbre serpent tentateur de la Genèse.

Le diable sait nous posséder. Il pénètre nos esprits, n’aime pas qu’on lui résiste, sait nous enfumer et accéder à nos faiblesses avec ses moyens qui s’appellent ambition, tentation, ego, argent, jalousie, vengeance, désir, sexualité, haine, jouissance, ivresse, peur, lâcheté, mensonges, et j’en passe.

Les deux peuples, le juif et l’arabe, ont été mis dans une situation infernale, bien connue du diable et pour cause, dès la création de l’Etat hébreu. Certes, les hébreux étaient déjà en Judée (d’où le nom de juif) depuis des temps immémoriaux, mais les Palestiniens aussi. Si créer des frontières sur un territoire oblige la plupart du temps à prendre de décisions arbitraires, dans le cas d’Israël où, par suite de la Shoah et du sionisme il est désigné comme un « Etat juif » destiné à accueillir tous les juifs de la diaspora, sans distinction d’origine, de motif ou de formalité, cet élément religieux attise aussi une haine antisémite multiséculaire entre les religions musulmane et juive.

A ce jour, ceux qui ont tenté des accords de paix l’ont payé de leur vie (notamment Sadate et Begin).

Simone Veil est au Panthéon, heureusement pour elle, car ces évènements l’auraient profondément meurtrie. Je crois qu’elle nous a montré des exemples, et qu’un jour des hommes, mais peut-être encore plus justement des femmes, comme elle et d’autres, se lèveront pour demander aux hommes de cesser de tuer leurs enfants. Vite !

Alexandre Adjiman.

le 16 octobre 2023

Joann Sfar : (c) France info Qu’ont donc fait les juifs pour un tel manque de solidarité ? https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/video-joann-sfar-qu-est-ce-qu-ils-ont-fait-les-juifs-pour-qu-il-y-ait-ce-manque-de-solidarite_6113817.html#xtor=EPR-555-[newsletterquotidienne]-20231014&pid=726375-1438186329-753daa76

L’art d’être à sa place.

Lors d’une visite chez George Sand à Nohant-Vic, dans l’Indre, il y avait dans le jardin plusieurs tombes, et l’une d’entre elles portait l’épitaphe suivante : « Tout le monde me croit mort, mais j’habite ici ».

Je ne me souviens plus de son nom, mais une chose est certaine : cette personne avait trouvé « sa place », et de plus elle n’en bougerait plus ! Quelle chance ! Parce que si vous réfléchissez à la vôtre, il y a de fortes chances que vous vous aperceviez que vous êtes régulièrement dans l’incertitude sur la question de savoir si vous y êtes…

Être à sa place est en effet un sujet bien plus compliqué qu’on ne croit, à telle enseigne qu’il fait l’objet d’un livre au titre éponyme, écrit par Claire Marin, professeure de philosophie associée de l’ENS-Ulm, et que malgré ses 250 pages elle n’a pas épuisé le sujet !

Est-il important d’être à sa place ? Je ne sais pas si c’est « important », mais je sais que quand il m’arrive de ne pas être ma place c’est plutôt désagréable !

Vous l’avez sûrement déjà compris, être à sa place relève de deux sens très différents : celui où l’on est physiquement installé « à une place », à table avec des amis par exemple, et celui où l’on est dans une relation avec d’autres personnes, dans une réunion de travail ou à donner une conférence. Notre place est alors validée par l’attention portée ou non à notre présence. C’est une place sociale et parfois psychologique aussi.

Comme nous nous dé-plaçons tout le temps, nous passons nos journées à être d’une certaine façon à une place, puis quelques heures plus tard à une autre. Exemple : je monte dans le tram, il n’y a pas de place assise, une personne me regarde et se lève pour me céder SA place. Cette situation dit quelque chose de la façon dont je suis perçu : le geste n’est pas anodin. Vingt minutes plus tard je participe à une réunion et j’aurai à donner un avis et à occuper ainsi ma place au regard des présents.

Evidemment la plupart du temps nous sommes insensibles à ces changements continus de place car nous y sommes habitués, une routine s’est installée. Mais il suffit d’une nouveauté, ou d’un changement dans la routine pour que nous puissions ressentir un malaise, une frustration, une inquiétude même… Pourquoi mon collègue d’habitude si affable ne m’adresse plus la parole depuis plusieurs jours ?

A la réflexion, l’intérêt de prêter une attention aux situations dans lesquelles nous nous trouvons, que l’on nous y ait placé ou que l’on s’y soit placé, permet d’avoir du recul et de ne pas s’installer insensiblement dans celles qui ne nous conviennent pas : le chignon qui vient de s’installer devant moi m’empêche de voir les sous-titres du film, c’est clairement visible, je change de place immédiatement. En revanche c’est bien parce que je me questionne souvent sur ma place que j’ai compris que je suis peu à peu devenu un robot à mon poste de travail, lequel robot me remplacera sûrement bientôt. Il faut partir. Car il est probable qu’un jour nous nous assoirons devant notre conseillère bancaire et que nous serons incapables de dire si c’est une personne en chair et en os ou un joli mannequin bourré d’électronique, connecté à une centrale de surveillance.

Si on appelle « résistants » ceux qui à un moment donné ne se sont pas sentis  » à leur place » dans la soumission, alors savoir être à sa place devient très important.

Lorsqu’en fin de journée ou en week-end nous entrons dans la sphère privée et devenus papa, maman, oncle, ou amant, nous sommes attendus à ces places par nos enfants, petits-enfants, nièces, conjoint, et nous risquons d’être rappelés à l’ordre en cas de défaillance !… Grand-père ? Tout un art selon Victor Hugo, et n’est pas artiste qui veut. Une difficulté surgit alors : si nous pouvons désirer quitter notre place d’amant, celle de « grand père » reste fortement collée à nos semelles…!

« Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place » dit le dicton ! Si vous n’êtes pas à votre place cela peut « faire désordre » et provoquer un chaos inattendu, et peut-être qu’on vous « remettra à votre place »! Un chaos peut naître de cette situation… Mais peut-être aussi l’avez-vous souhaité ? ?

Mais comment savoir si nous occupons notre place ? Notre vraie place ? Ou nos vraies places puisque nous en avons plusieurs comme nous venons de le voir ? Oh je pense que nous pouvons en avoir intuitivement la notion, une sorte de sixième sens nous le dit, ou tente de nous le dire, bien que parfois nous ne voulons pas l’entendre, surtout si c’est un peu compliqué à vivre !

Alors nous pouvons avoir tendance à prendre une place un peu sur le côté, une place qui est un peu moins la nôtre, mais qui exige moins d’efforts… Nous faisons semblant, c’est bien connu ! Preuve qu’on le sait assez tôt : ceux qui ne se laissent pas faire – et ne savent pas non plus faire semblant- ce sont les nourrissons : dès qu’ils ne se sentent plus à leur place ils vous le disent, voire vous le crient, preuve par les larmes à l’appui !

Vous l’avez sûrement remarqué : il y a des personnes qui prennent une place pour ne pas la laisser à une autre, mais ne l’occupent pas vraiment… (Je ne voudrais pas être à leur place !) Un peu sur le même modèle, la société peut vous assigner une place et estimer que vous ne l’occupez pas selon les « bons critères »…. Grrrr !

Claire Marin le dit : nos vraies places se construisent avec les éléments prépondérants de notre identité, celle qui nous définit de bout en bout. Elle prend pour exemple la difficulté des migrants à trouver leur place à l’étranger, là où leur langue maternelle, leur repères culturels, leur histoire, leurs cercles familiaux ne sont plus présents.

C’est d’ailleurs à se demander si c’est un avantage que d’être aussi dépendants des millions de pièces du puzzle qui sont la boîte qui nous a été donnée à la naissance pour nous permettre de nous construire : lieux, langues, culture, moyens, histoire, climat, apprentissages…. « Ne demande pas ton chemin, tu risquerais de ne pas te perdre ! » dit le Talmud, tant il est vrai que nous sommes conditionnés par tous ces éléments. Faire bifurquer sa vie, par exemple divorcer de son job lorsque l’on est confortablement installé dans une place bien rémunérée pour devenir libraire, c’est le vertige au sens propre que ne regrette pas d’avoir eu Laurent Letellier, le héros de « La femme au carnet rouge », une histoire qui vous fera douter de l’existence du hasard.

Lorsque nous sentons que nous ne sommes plus à notre place, partir, faire sa valise, quitter, …. est parfois synonyme de violence. Mais n’est-ce pas aussi synonyme de « se sauver » pour préserver notre identité profonde ?

Daniel Prévost a trouvé une solution : il s’aime lui-même et a écrit son « Eloge du moi » : « La personne pour laquelle j’éprouve le plus d’affection, je n’ai nulle honte de l’avouer, c’est moi ! » Ha ha ha ! Il faut bien reconnaître qu’il y est parfaitement à sa place !

Pas de panique, adoptez la place que vous voulez, car de toute façon « le temps remettra tout en place* »!

Alexandre Adjiman

le 27 août 2023

« Le temps remettra tout en place » Eugène Blot, sculpteur du milieu du 19ème siècle. Merci à Florence pour le Daniel Prévost.

Dans mes lectures :

« Etre à sa place » Claire Marin , 2022, Editions de l’Observatoire, Le livre de poche

« Vivre avec nos morts », Delphine Horvilleur, 2021, Editions Grasset, Le livre de poche

« La femme au carnet rouge », Antoine Laurain, 2014, Editions Flammarion, J’ai Lu

« Eloge du moi », Daniel Prévost, 2001, Editions Le cherche Midi, Pocket

« Un été avec Jankélévitch », Cynthia Fleury, 2023, Editions France Inter

« La vie est un puzzle » Alexandre Adjiman, 2ème Edition, 2015 Editions Garamond

« Quand je serai grand(e) je ferai », Alexandre Adjiman, 2011, Editions Garamond

Hiroshima, et « L’éternel retour »…

J’ai vu « Oppenheimer », actuellement en salles, qui présente de façon très documentée l’histoire de la création de la bombe atomique par l’Amérique pour mettre fin à la seconde guerre mondiale, dans laquelle ils sont entrés le 7 décembre 1941, suite à l’attaque de la base navale de Pearl Harbour par les japonais.

C’est à tort qu’Einstein est souvent associé à la création de la bombe qui fut larguée sur Hiroshima et Nagasaki. Car comme on le voit dans le film, dans lequel il fait une brève apparition, il y a loin de sa théorie, qui a en effet permis de la fabriquer, à sa réalisation technique.

La direction du projet Manhattan, nom de code donné à la création de la bombe, est confiée par un général à Oppenheimer, seul scientifique à disposer alors de l’envergure nécessaire. Très attiré par les valeurs communistes, Oppenheimer s’interrogera constamment sur le sens de sa mission, ce qui lui vaudra de graves ennuis plus tard. Il semble avoir été pris de vertige par le défi de réunir les plus grands scientifiques du monde, et de diriger un centre de recherches ultra secret dans le désert du Nouveau Mexique, à Los Alamos. A tel point qu’un ami lui demandera un jour de retirer la veste militaire qu’il a décidé de porter, par fierté mal placée, afin de rester un civil et un savant.

Le film est construit comme un thriller, ce que fût certainement la réalité, car il s’agissait d’une course contre la montre dans laquelle se jouait le sort de la guerre et peut-être même de l’humanité : avec Hitler au pouvoir et la bombe entre ses mains, tout était possible… Malgré ses trois heures (et 9 secondes paraît-il) le temps passe très vite.

L’essai dans le désert d’une bombe miniature construite sur le principe de la bombe atomique étant concluant, la vraie bombe est immédiatement fabriquée et sera larguée deux fois, les 6 et 9 août 1945, sur Hiroshima et Nagasaki. Pourtant les alliés ont déjà débarqué en Normandie (6 juin 1944), et Hitler s’est tiré une balle dans la tête (30 avril 1945). La fin de la guerre est donc inéluctable, mais le Japon n’a pas capitulé et le nouveau président des Etats Unis, Harry Truman, veut la capitulation.

Arrive alors une scène effroyable : à Los Alamos, ce 6 août 1945 c’est une autre explosion qu’on entend : celle d’une joie totale. Tous les ingénieurs et leurs équipes se sont rassemblés dans un amphithéâtre pour appeler et acclamer Oppenheimer, qui, de loin, entend scander son nom, hésite à les rejoindre, trop conscient de ce qui se passe au même moment au Japon. Il entre finalement dans la salle, regarde ébahi le public en liesse, et l’esprit embrouillé semble ne pas savoir quoi dire, reste d’abord muet. « Le monde se souviendra longtemps de ce jour ! » lance-t-il finalement, et sort. Cris et applaudissements nourris s’en suivent … Pas sûr que ces hourras avaient la même résonnance pour ses supporters et lui.

Le mérite de Christopher Nolan, réalisateur du topic, a été de nous permettre de vivre ces moments d’Histoire en nous plaçant directement dans l’esprit d’Oppenheimer. Nous avons son regard et comprenons ses pensées. Lui qui sait tout de la bombe, de sa puissance destructrice instantanée et de l’impact de la radioactivité a long terme, sait qu’il n’y a pas de joie possible. Et moi, confortablement installé dans mon fauteuil, connaissant la réalité actualisée, je vois et comprends que cette joie est insensée, et un mélange de honte, de tristesse, et de questions m’envahissent.

Ceci peut-il se reproduire ? Interrogé, Christopher Nolan le pense et alerte de vive voix les scientifiques sur la nécessité de prendre en considération l’éthique humanitaire dans les développements technologiques.

On a très envie d’y croire, mais l’Homme n’a pas encore trouvé le moyen de réduire la dimension de son égo. Oppenheimer aurait-il pu refuser la mission ? En théorie oui, en pratique non mais pour les mauvaises raisons habituellement invoquées dans ces cas de figure : on n’a pas le choix, si on ne le fait pas un autre le fera, c’est urgent, Hitler le fera et gagnera la guerre, etc….

Il n’est pas nécessaire de réfléchir très longtemps ou de prendre un manuel d’histoire pour répondre à la question. Si nous ne connaissons pas le nom précis de celui qui a remplacé Oppenheimer à la tête de l’explosion du virus du COVID 19, nous savons qu’il a fait 7 millions de morts (environ 200 000 pour Hiroshima et Nagasaki).

Il n’y a pas non plus eu d’explosion de joie à voir le virus reculer, et pour cause : nous savons que rien n’a changé pour éviter son retour ou d’autres catastrophes : ni l’égo des scientifiques à vouloir écrire leur nom en lettres d’or dans les avancées scientifiques, ni celui les politiques avides de marquer leur passage, quoiqu’il en coûte.

Pour mesurer la valeur d’un instant le philosophe Friedrich Nietzsche proposait de se poser la question : « Aimez-vous suffisamment cet instant pour en voir l’éternel retour ? Non ? Alors cessez de le vivre ». Quant à Milan Kundera, il nous l’avait bien dit : « Notre légèreté est insoutenable ».

Alexandre Adjiman

le 6 août 2023, (soit tout à fait par hasard, 78 ans après Hiroshima….)

Dans mes lectures :

« Un été avec Jankélévitch », Cynthia Fleury, Editions Parallèles, 2023

« Etre à sa place », Claire Marin, Le livre de poche, Editions de l’Observatoire, 2023

« La peur de l’insignifiance nous rend fous », Carlo Strenger, Editions Belfond, 2013

« L’insoutenable légèreté de l’être », Milan Kundera, Editons Folio, 2020

« Et Nietzsche a pleuré » Irvin Yalom, Editions Le livre de poche, 2010

Jane Birkin, François Mitterrand et Emmanuelle

…ou les confessions au presbytère

Alain-Georges Emonet, longtemps journaliste présentateur des informations sur France 3 Orléans, nous fait une fois de plus l’amitié et le plaisir de relater l’une de ses épiques rencontres. A savourer sans modération !

En cet été 1978, le monde catholique pleure le pape Paul VI et le ministre René Monory tente de convaincre les français d’étaler leurs vacances. Dans les pages politiques des quotidiens, un titre s’étale, mais modestement et sans vigueur: François Mitterrand sera candidat aux prochaines élections présidentielles de 1981.

Et pour illustrer cette candidature, je décide d’aller rencontrer… Jane Birkin à Cresseveuille, localité de 200 âmes proche de Dozulé dans le Calvados.

Il y a 3 ans que madame Mallory Birkin a acheté, dans l’indifférence générale, ce presbytère récemment abandonné. Sauf qu’un jour, dans l’épicerie du village, on a vu apparaitre le panier en osier le plus célèbre de France et celle qui le portait à son bras, madame Mallory Birkin connue sous le nom de Jane Birkin.

Jane Birkin, n’avait pas d’affection particulière pour la Basse-Normandie, à l’exception du grand Hôtel de Cabourg dont elle parcourait en courant , avec ses parents, le hall d’entrée. Jusqu’à ce  printemps où l’acteur Yul Brynner, mythique interprète de Le Roi et moi et parrain de Charlotte l’invita dans son manoir de Criqueboeuf à Bonnebosq et lui fit découvrir le presbytère de Cresseveuille. Le charme opéra, et l’actrice investit immédiatement son cachet de La moutarde me monte au nez dans l’achat de la bâtisse.

Serge Gainsbourg affirmant toujours que lorsqu’il était en Normandie, il était chez Jane. D’ailleurs, il s’y faisait très discret. Une pièce, délibérément close, lui servait de refuge, composant, écrivant ou dessinant à l’encre de chine. Il m’est arrivé d’entendre, parfois, un piano égrener quelques notes de Brahms.

Je n’y ai vu qu’une seule fois l’homme à la tête de choux en sortir de fort mauvaise humeur. Jane Birkin venait de recevoir un appel téléphonique de son (presque) voisin en Normandie, Alain Delon. Il lui proposait un dîner et l’auteur de La Javanaise lui demandait avec vigueur de décliner cette invitation. Serge Gainsbourg était très jaloux de Monsieur Klein et accompagnait sa compagne sur les lieux où ils tournaient ensemble.

L’hospitalité généreuse du presbytère était discrète et feutrée. La comédienne y travaillait ses textes entre la british éducation de Kate, la french complicité avec Charlotte et son rôle de maitresse de maison ramassant sur le sol une des 31 chemises en jean de Serge Gainsbourg (une pour chaque jour du mois) sur fond de tapisserie liberty.

Lors des vacances scolaires et chaque été, Jane Birkin s’installait avec sa petite famille dans la presbytère. Elle avait convaincu Serge Gainsbourg de découvrir la région en solex mais l’aventure tourna rapidement court.

Elle utilisait plus volontiers la méhari blanche qui l’emmenait jusqu’aux Nouvelles Galeries de Lisieux où elle effectuait ses emplettes. Avec une Charlotte espiègle qui, assise à l’avant du chariot, saisissait les produits à portée de sa main et les déversait dans le caddie. Arrivée à la caisse, Jane faisait le tri tout en discutant avec la caissière qu’elle n’oubliait jamais d’embrasser avant de sortir…

Jane nous recevait, les jours de chaleur, avec un bas de maillot noir et un top de coton transparent.

Chaleureuse, avec une simplicité contagieuse, l’interview devenait une conversation. Elle nous parlait de ses « câlineries » (ce qu’elle aimait) et de ses révoltes. C’était encore l’époque où son accent britannique venait mordre son français fleuri. Elle avait alors l’excuse ingénue et musicale de commencer ses phrases par « Oh, tu comprends… ». Puis se resservant du thé, à la fin d’un entretien qu’on n’aurait jamais voulu voir s’achever, elle nous déclamait une tirade de Shakespeare ou quelques mélodies de My fair lady. Pliant alors sa jambe droite sur sa cuisse gauche, elle se calait dans ce fauteuil en osier qui avait  fait l’affiche du film Emmanuelle et que lui avait  offert un admirateur philippin ou indonésien persuadé qu’elle était l’interprète principale de ce long-métrage.

C’est là qu’elle me parla de son père, commandant de la Royal Navy. Et de ses activités pendant la Seconde Guerre Mondiale. En coordination avec la Résistance Française, il aurait convoyé de nuit entre la Grande Bretagne et la Bretagne des combattants de la France Libre et un certain… François Mitterrand.

Epilogue

En 1990, Jane Birkin revendit le presbytère et racheta une maison en Bretagne, là, précisément où son père avait débarqué les combattants de la France Libre….

Alain-Georges Emonet

20 juillet 2023

Hommage avec ce medley… (c) youtube et Taratata

Et la palme d’or du cynisme est attribuée à ….

Bonjour,

Parce que je suis né Egyptien, à Héliopolis, cité multi millénaire située dans la banlieue du Caire, et que dans le cadre de la guerre dite du Canal de Suez (1956/57) entre l’Egypte et Israël ma famille a été expulsée, et que, devenus apatrides, nous avons été accueillis par la France, je suis un migrant au sens littéral du mot. Rien à voir bien sûr avec les conditions de ceux d’aujourd’hui.

Impossible cependant pour moi de rester indifférent à l’absence cruelle de volonté politique d’affronter une situation pourtant multiséculaire de déplacement des populations sur la planète. En effet, comme vous pouvez le voir à partir du lien ci-dessous vers une campagne actuelle du musée de l’immigration, un français sur trois est un immigré… Probablement un voisin, ou vous même… Sans le savoir peut-être ?

Sans le savoir ? Vous pouvez en avoir le cœur net : il vous suffit pour cela de demander à connaître votre ADN. Pour quelques dizaines d’euros vous pourrez découvrir les ethnies qui vous traversent, une dizaine en ce qui me concerne. Dont les Inuits, mais seulement pour 1% il est vrai… Le fin fonds de vos origines les plus lointaines est à une portée de clic.

Après avoir permis d’Uberiser des centaines d’emplois précaires, dont beaucoup aujourd’hui sont occupés par des migrants, Monsieur Macron se sent plus flatté et important de traiter avec les personnes les plus riches du monde, même si elles ignorent les Droits de l’Homme ou licencient des milliers de personnes par texto, que de contribuer d’urgence à une solution française et européenne de la situation.

L’article ci-dessous, publié dans Courrier International du 16 juin 2023, donne un aperçu de nos responsabilités.

Le naufrage en Grèce, “un crime commis en notre nom”

« Le naufrage d’une embarcation transportant des centaines de migrants au large des côtes grecques le 14 juin s’apparente à un crime perpétré au nom des Européens, fulmine “Efsyn” dans un éditorial. Le journal de gauche s’emporte contre les politiques migratoires, qu’il juge responsables de drames à répétition.

Dans la zone la plus profonde de la Méditerranée, là où la plaque africaine s’engouffre sous la plaque eurasienne, les rêves et les espoirs de centaines de personnes ont coulé en même temps que leur embarcation métallique, dans les abysses, à plus de 5 000 mètres de profondeur.

Nous ne connaîtrons probablement jamais les noms et les histoires de ceux qui ont péri, mais nous savons très bien que ce crime a été commis en notre nom, tout comme nous connaissons les noms de tous ceux qui en sont responsables.

En notre nom et au nom de la patrie, pour la gloire et la sécurité de l’Europe et pour la protection des frontières, l’Union européenne (UE) a mis en œuvre des politiques qui transforment le Vieux Continent en forteresse et les pays frontaliers en prisons. Éradiquant toute notion d’humanité et laissant derrière elle des décennies de tradition juridique, elle traite les mendiants comme des ennemis à écraser.

L’UE a légitimé l’inhumanité

Les réfugiés sont repoussés jusqu’à ce qu’ils se noient dans la mer Egée, les persécutés tombent contre des murs dans la région de l’Evros [frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie où s’étend une clôture de 35 kilomètres de longueur], les demandeurs d’asile deviennent du gibier, les déracinés sont entassés dans des camps.

En conférant aux pays du Sud le rôle de chiens de garde à ses frontières et en dépensant sans compter dans des moyens de répression, l’Union européenne légifère et perfectionne les technologies du crime. Et alors qu’elle a normalisé l’horreur et légitimé l’inhumanité, elle se montre choquée par une nouvelle tragédie pourtant annoncée.

Du ministère de l’Immigration grec au président du Conseil européen, et de Kyriakos Velopoulos [homme politique grec d’extrême droite] à la présidente de la République hellénique, on désigne les passeurs comme responsables de cette disgrâce qui a coûté la vie à des centaines de personnes.

Ce ne sont pas les guerres des dirigeants ni la stratégie de démembrement des pays, pas les politiques d’exploitation de l’homme ni les tactiques pour empêcher ces damnés de la Terre de passer légalement qui sont responsables. Non. Les responsables sont les contrebandiers du désespoir.

La Grèce a décrété trois jours de deuil national. Mais un véritable geste de respect pour ceux qui ont péri et tous ceux qui se préparent pour un prochain périple qui se joue à la roulette russe serait d’arrêter de verser des larmes et d’en finir dès à présent avec ce comportement de chien qui se couche devant les puissants et qui mord les pauvres diables de ce monde ».

Alexandre Adjiman

le 18 juin 2023

Un français sur trois est un immigré, campagne actuelle du musée de l’immigration : https://www.huffingtonpost.fr/culture/article/cette-campagne-du-musee-de-l-immigration-avec-louis-xiv-rappelle-qu-un-francais-sur-trois-est-immigre_219222.html?xtor=EPR-5689964-[daily]-20230617

Source de l’article publié : Efimerida Ton Sytakton :

Le «Journal des rédacteurs» est né de la crise économique en Grèce. Il a en effet été fondé en 2011 par les journalistes du quotidien Eleftherotypia, qui, en pleine faillite, fermait alors ses portes. Chacun d’entre eux a investi de ses propres deniers pour mettre en place ce journal, qui est désormais l’un des rares dans le pays à faire des reportages de société. Ses rédacteurs se disent indépendants, mais le journal a une tendance centre gauche et invite souvent des intellectuels à faire des tribunes.

Hier, aujourd’hui, demain… et les autres.

Depuis des siècles des penseurs et des philosophes essayent de nous donner des clés pour vivre ce qu’ils appellent « la vie bonne », ce qui serait LA boussole universelle pour s’orienter sur le chemin du temps qui passe : stoïciens, épicuriens, moralistes de tout poil, … auxquels il faut, bien sûr, ajouter toutes les spiritualités !

Prenons l’exemple d’une vision philosophique de la vie que vous connaissez probablement, trouvée sur une courte vidéo du réseau social Tik-Tok ! (pourquoi pas ?). Je vous invite à la regarder (c’est nécessaire pour la suite), et vous me retrouverez après.

@kevinlemaguer

Tu as souri aujourd’hui ? • Couverture par Andre Hunter P. • Musique par Austin Farewell (New Home (Slowed))

♬ son original – Kev – Kev

Le message de Kevin présente l’avantage d’être formulé de façon simple et dramatique, c’est à dire avec une certaine force de conviction. Il confirme l’idée que la vie est courte, qu’il faut la vivre pleinement, profiter de chaque instant, savoir admirer la beauté des choses simples, etc…

Mais est-il EXACT de penser que nous ne pouvons rien faire sur le passé parce qu’il est passé, que demain est un autre jour dont on ne sait rien et qu’on ne peut qu’espérer, enfin que la seule chose que nous puissions faire c’est de vivre le moment présent ?

Car que pouvons nous vraiment sur le moment présent, sur l’aujourd’hui ? Là, dans quelques minutes pendant que vous lisez ? Avons-nous une marge de manœuvre sur ce « futur immédiat » ?

Si vous avez lu mon article sur Spinoza vous savez que selon ce philosophe très en vogue aujourd’hui, il n’y a pas d’effet sans cause, et que ce qui doit advenir est déjà « en route » ….. A ceci près que, de façon paradoxale, nous avons peu de chances de le prévoir, du moins avec certitude, tant le nombre d’hypothèses est phénoménal ! Dès lors profiter pleinement du moment présent pourrait bien manquer parfois d’authenticité.

Alors cher Kevin, si hier ne sert plus à rien, qu’aujourd’hui tout est déjà prévu, et que nous ne pouvons rien savoir de demain, à part d’aller se coucher et d’attendre que le temps passe, que pouvons nous faire ?

Puisque nous savons pertinemment que nous n’irons pas nous coucher, comment les évènements se produisent-ils ? Quels sont les phénomènes sur la base desquels nous avançons chaque jour dans la vie ? Dans quelles circonstances pouvons nous être amenés à choisir l’une ou l’autre des boussoles que les philosophes d’hier et d’aujourd’hui nous proposent ?

Le philosophe Jérôme Lèbre vient de publier « Repartir, Une philosophie de l’obstacle », livre dans lequel il démontre avec beaucoup de facilité, tellement cela m’est apparu une évidence, que contrairement aux apparences, l’essentiel de nos comportements n’est pas déterminé par notre seule volonté, mais bien souvent par la réaction aux obstacles que nous rencontrons pour parvenir à notre désir initial. Bref, nous changeons sans cesse de route, tout en croyant la maîtriser !

Ce qui l’inspiré c’est l’observation de la nature, elle même sans cesse confrontée à des obstacles qu’elle franchit avec beaucoup d’imagination et de constance : pierres, rochers, montagnes, déserts, eaux, forêts, lacs…. Il n’est que d’observer une glycine contournant n’importe quel mur pour adhérer au concept, et bien entendu la confrontation aux changements climatiques.

Je ne vous apprendrai rien en vous faisant observer que vous parvenez assez difficilement à faire exactement ce que vous avez décidé de faire dans une seule et simple journée sans rencontrer un imprévu, aussi minime soit-il, qui réoriente votre action. Qu’il s’agisse de votre emploi du temps perturbé par un embouteillage dû à des travaux, d’une annulation de rendez-vous, d’une décision favorable (ou défavorable) à laquelle vous ne vous attendiez pas, de l’intervention intempestive d’une personne désagréable, d’un appel téléphonique…. Réfléchissez seulement aux quelques heures qui viennent de s’écouler…

Les exemples ci-dessus sont anodins, mais nous sommes aussi susceptibles d’être confrontés à beaucoup plus difficile, à gérer des ruptures de toute nature telles la perte d’un emploi, une rupture amoureuse essentielle à notre quotidien, le décès d’un proche, l’annonce d’une maladie qui nous met en danger,…

Cela peut aussi être une rencontre qui nous a enfermé dans une situation incompatible avec nos désirs profonds, un livre ou un film qui nous révèlent un aspect de nous même que nous ne connaissions pas, une addiction qui nous a progressivement et inconsciemment enchaînés…

Face à des évènements aussi difficiles allons-nous nous effondrer ? Allons-nous fuir ? Allons-nous déprimer ? Allons-nous nous battre ? Allons-nous être fatalistes ? Allons-nous changer et devenir autre ? Allons-nous haïr ? Allons-nous être en colère, ou tristes pour le restant de nos jours ? Allons-nous perdre l’espoir d’être vivants ?

Toujours est-il que nous sommes alors confrontés à une situation qui nous contraint à un choix, lui même soumis à la même loi de l’obstacle, pourquoi ne pas dire à un « voyage » pour une destination et une durée inconnues, comme si nous étions transportés par l’évènement ? En considérant que toute la vie n’est au fond qu’une succession de voyages, peut-être les évènements difficiles seraient-ils plus supportables ? Peut-être sommes nous condamnés à être tous des « juifs errants », contraints de s’exiler au gré des obstacles mis à leurs conditions de vie et d’exercice de leur religion ? Ulysse n’a t-il pas fait « un beau voyage » malgré la multitude des obstacles rencontrés, et son Odyssée ne nous montre-t-elle pas un chemin ?

Selon Jérôme Lèbre les plus difficiles des obstacles auxquels nous pouvons être confrontés ne sont pas d’ordre matériel, mais d’ordre humain, la mort étant d’ailleurs le dernier d’entre eux. Pour les franchir l’Homme est capable de développer par son esprit la plus puissante des forces, bien plus forte que toute autre. Il en donne l’exemple avec l’image ci-dessous. Où mettrez-vous le véritable obstacle ?

(c) France Bleu

Finalement c’est probablement lorsque devant l’obstacle nous devons décider de renoncer ou d’avancer que finira par exister notre plus précise identité, qu’apparaîtront nos forces …. ou nos faiblesses. « Connais-toi toi même » disait Socrate ! C’est une piste non ?

Merci Kevin !

Alexandre Adjiman

le 14 mai 2023

Petite bibliographie

« Repartir, une philosophie de l’obstacle », Jérôme Lèbre PUF, 2023

« Les renoncements nécessaires » Judith Viorst, Editions Robert Laffont, 1968

« Désobéir », Fréderic Gros, Editions Flammarion, 2019

« Eloge de la faiblesse », Alexandre Jollien, Editions Marabout 1999

« Eloge de la fuite » Henri Laborit Edition Folio 1976

« Eloge du risque » Anne Dufourmantelle, Rivages 2011

« La vie est un puzzle ! » Alexandre Adjiman, Editions Garamond, 2011

Les pigeons du roi.

Conte satirique.

Il était une fois, dans un pays lointain, un roi débonnaire qui n’avait rien d’un roi. Il était normal, sympathique, mais insouciant, et bien que se disant très proche de son peuple n’était guère intéressé par sa fonction. 

Ayant trouvé une charmante jeune femme plus à son goût que la reine, il s’est délesté de cette dernière dans des conditions peu glorieuses, laquelle en a fait un scandale, brisant au palais royal moult vaisselle et objets précieux pour se venger de sa disgrâce. Le roi n’en avait cure, et a fini par installer au palais sa nouvelle conquête.

Aspirant à sa romance plus qu’aux affaires du royaume, il décida de jeter l’éponge, de se choisir un successeur, et de soumettre sa proposition au peuple. N’ayant pas d’idées, il s’adressa à un professionnel de la politique, influent conseiller d’un précédent roi, bien connu pour son carnet d’adresses. Lequel lui présenta en peu de temps un jeune et brillant sujet qui disposait des atouts pour faire l’affaire.

Les présentations faites et le candidat immédiatement adoubé, le futur roi se mit aussitôt en marche pour élaborer une attrayante présentation au peuple de ses idées pour gouverner. Et pour mieux rassembler il se déclara susceptible de réunir toutes les opinions en même temps et dans un seul mouvement, ce qui, sa jeunesse aidant, ne pouvait que séduire.

Il s’était notamment engagé à ce qu’il n’y ait plus de gueux dans les rues du royaume qui en étaient infestées, et le peuple semblait vouloir faire confiance à ces nouvelles et généreuses idées. Au jour dit il fut donc intronisé, et s’installa au palais, accompagné de son épouse, dont l’arrivée fit grand bruit par son inhabituelle différence d’âge avec le roi à l’opposé des coutumes royales, et par sa passion pour une riche mode vestimentaire.

Malheureusement, quelque temps après son installation, le pays connu une hausse phénoménale des prix du fourrage et du blé, de telle sorte qu’une importante partie de la population, déjà vulnérable en raison de revenus situés sous le seuil de pauvreté, s’est trouvée en grande difficulté. Il s’en suivit des manifestations massives de ces familles, réclamant de l’aide pour survivre, qui, pour se reconnaître, se distinguaient par le port de chemises jaunes, symboliques du blé, on l’aura compris.

De par ses origines sociales le roi connaissait peu les conditions de vie et les souffrances de cette catégorie de population, dont il sous-estima la gravité de la situation. Il fit réprimer durement les manifestants, qui, peu organisés et mal représentés, résistèrent longtemps mais finirent par abandonner l’inégal combat auquel ils devaient faire face.

Le roi aimait beaucoup développer des idées nouvelles et mettre en place, quoiqu’il en coûte, des réformes qui marqueraient pour longtemps son règne. Mais sa trop grande distance avec le peuple, probablement due à la fréquentation assidue des hautes sphères de la finance, lui rendaient inaudibles les revendications populaires les plus simples.

On se souvient aujourd’hui encore que dans le but de réduire les dépenses de la couronne (une de ses marottes qu’il mettait en œuvre dans tous les domaines à plus ou moins bon escient), il eût l’idée de remplacer les malles-postes qui parcourraient les campagnes pour livrer les courriers, par des pigeons voyageurs ! Plus moderne, plus rapide et très économique ! disait-il.

Il devait pourtant savoir que c’était une idée inadaptée aux attentes de la population, et surtout très inégalitaire, car seule une partie des habitants dont les revenus leur permettraient de posséder des pigeons voyageurs pourrait en bénéficier.

Cette affaire a donc mobilisé les oppositions de tous bords dès son annonce dans les villes et villages par les tambours du roi. Elles prirent de plus en plus d’ampleur puisqu’il y eut des rassemblements dans tout le pays, les manifestants considérant que le roi les prenait pour des pigeons.

Mais rien n’y fit. Le roi était persuadé que le peuple qui se révoltait était incapable d’avoir la hauteur de vue nécessaire pour apprécier les atouts de sa réforme qu’il estimait inéluctable pour les finances de l’avenir du royaume.

La suite de l’histoire s’étant perdue dans l’écoulement des siècles, on ne sait pas comment les choses se terminèrent. Mais selon les historiens la population de ces temps a été marquée par le comportement méprisant de la plus haute instance du pays dans sa volonté d’imposer sa réforme.

Comme s’il s’agissait d’un effet secondaire, l’exemple était donné qu’une opinion qui vous est contraire ne mérite pas d’attention. Si bien que les comportements irresponsables, les individualismes, et les conflits insensés se sont multipliés. Les murs des villes servirent pour la première fois de support pour appeler à la résistance, tandis que les échanges publics dans la population devinrent souvent haineux, parfois même violents.

De nouvelles rumeurs sans fondement circulaient tous les jours, et un auteur spécialisé dans les enquêtes et pamphlets insinua que la réforme du roi serait née chez un bon ami à lui, éleveur de pigeons voyageurs, bien connu dans le royaume. Mais l’affaire fut rapidement classée sans suite.

Il se raconte aujourd’hui que ce roi qui se vantait d’avoir étudié la philosophie et n’entendait pas son peuple n’avait probablement pas rencontré Platon. Car si tel avait été le cas, celui-ci lui aurait vivement conseillé de sortir plus souvent de sa caverne, de préférence à pied plutôt qu’en carrosse, afin de mieux recevoir la lumière, et d’être ainsi mieux éclairé.

Alexandre Adjiman

Le 15 Février 2023

Dans mes lectures :

« L’absurde », sous la direction de Raphaël Enthoven, Éditions Fayard 2010

« Le goût de vivre » extrait de « Impromptus » André-Comte Sponville PUF 1996

« Éloge de l’ironie » Vincent Delcroix, Éditions Gallimard, Folio 2010

« Éloge de la folie » Érasme, Éditions Flammarion

« Controverse sur Le droit de mentir » entre Benjamin Constant et Emmanuel Kant, Éditions des Mille et une nuit

« L’art d’avoir toujours raison » Arthur Schopenhauer, ré-édition 2020 Éditeur indépendant

LES AMOURS ĖPISTOLAIRES

VERSUS « LA POSTE »

Ce matin j’ai interpellé un facteur devant lequel je passais :

« Alors comme ça, sans le timbre rouge on ne va plus pouvoir envoyer une lettre d’amour ? »

« Ah mais si, me répond il, vous l’enverrez en lettre verte ! »

« Vous n’y pensez pas !  Dire je t’aime en trois jours ? Vous ne savez donc pas que dire je t’aime est toujours très urgent ?»

Ça l’a fait rire…

Voilà, c’est fait : les fonctionnaires de La Poste, établissement public bien que de statut privé, ont concocté un « mode d’emploi de la lettre urgente » qui, depuis ce 1er janvier 2023, suppose qu’elle soit préalablement trafiquée par la sacro-sainte société numérique.. Il faut dire que l’exemple vient de bien plus haut, et que le tsunami digital n’a pas fini de faire des vagues. Impossible de l’arrêter : vous savez bien, on n’arrête pas le progrès.

Avec sa disparition nous venons donc d’apprendre que nous possédions un trésor inestimable : le timbre rouge ! Je vous explique.

Le timbre rouge vous garantissait qu’une lettre partie en France de n’importe quelle ville, arrivait à destination de l’une des 35 000 communes du territoire dès le lendemain ! Une belle performance et une belle réussite pendant des années, dont La Poste pouvait être fière. Désormais, pour qu’une lettre soit distribuée du jour au lendemain vous devrez d’abord la transmettre à un centre spécialisé dans la numérisation, où elle sera scannée puis imprimée en noir sur papier ordinaire, et mise sous enveloppe pour être distribuée par le facteur. Votre original lui, sera, tenez-vous bien, conservé un an puis….détruit ! Waouh ! (A moins que ce ne soit : Grrrr !)

Alors qu’il était si fabuleux, lorsque, submergés par une irrésistible bouffée d’amour, de pouvoir saisir une feuille blanche (ou de couleur), peut-être aussi une plume avec une encre choisie plutôt qu’un stylo à bille, et d’y exprimer toute son inspiration amoureuse, de la mettre fébrilement dans une belle enveloppe (peut-être, pourquoi pas, de couleur aussi), puis de courir au bureau de poste le plus proche (avant la levée du courrier !), pour qu’après avoir humidifié de sa langue et collé le fameux timbre rouge, nous soyons certains que LA lettre déposée dans la grande boîte soit entre les mains aimées dès le lendemain…

Mais non, rembobinez et ne rêvez plus ! Désormais la spontanéité de ce mouvement amoureux est soumise à un mode d’emploi technique incontournable, qui porte le nom poétique d’e-lettre (prononcez ilettre svp).

Aïe ! Les conséquences de cette invention sont moins anodines qu’il n’y paraît, tant pour nos amours épistolaires personnelles, que celles de la littérature épistolaire en général.

Imaginons qu’il existe encore quelque part un « Albert Camus » qui écrive des lettres d’amour, comme celles dont j’ai écouté des extraits lors d’une promenade à la maison de Maria Casarès l’été dernier en Charente, en compagnie de mon amoureuse. Car pour Camus, qui était souvent absent et se disait mal à l’aise face au téléphone, la lettre est le véhicule de l’amour. Amoureux fou de la tragédienne dont il est devenu l’amant, leurs échanges constituent une somme époustouflante et irremplaçable d’écrits amoureux, « au lyrisme et à l’érotisme absolus » (Correspondance 1944-1959 Gallimard).

Ainsi l’écriture était elle pour Camus un moyen d’expression bien plus puissant que la parole, tant par le choix de mots que par l’effet de leur lecture, car l’esprit entend  autrement que l’oreille.

Exemple : Je ne t’ai jamais séparée de ton corps. Mais bien que je sois littéralement intoxiqué par ce corps, je ne t’ai jamais désirée ni prise en t’oubliant, toi. C’est l’acte d’amour depuis que je te connais. Avant c’était l’acte, voilà tout.

Le 30 décembre 1959, Albert Camus écrit à Maria Casarès : Pour le moment je rentre et je suis content de rentrer, A mardi ma chérie, je t’embrasse déjà, et je te bénis du fond du cœur. Il décédera sur le chemin du retour dans un accident de voiture, le 3 janvier 1960.

Comment les «Postiers» ont-ils pu imaginer que les lettres manuscrites d’auteurs contemporains dont la valeur pourrait rejoindre, pourquoi pas, celle d’un Albert Camus à son Cher amour, ou d’un Victor Hugo à Juliette Drouet, ou à tant d’autres, pourraient être stockées dans un serveur informatique, à la merci de n’importe quel piratage, et qui plus est, seront systématiquement détruites au bout d’un an ?

Ce n’est peut-être là que le résultat de la danse des fanatiques des coupes budgétaires, des raisonneurs et rationalistes en tous genres, capables de justifier n’importe quoi avec un tableau Excel. Ils sont malheureusement dotés d’une ambition et d’un ego incontrôlables, tout en étant démunis de la culture générale qui leur serait pourtant si nécessaire pour gouverner intelligemment et ne pas abuser de leur pouvoir.

Si je n’ai parlé jusqu’à présent que du contenu d’une lettre manuscrite, je n’oublie pas la calligraphie, reflet de la personnalité de l’auteur. Dès la lecture de l’enveloppe d’une lettre nous savons que c’est elle ou lui qui nous écrit, et nous aimons regarder et lire cette écriture. C’est pourquoi nous désirons souvent garder ces lettres, pour les revoir, les relire, les toucher et respirer à nouveau l’air du moment de leur réception…

Enfin, puisque nos envois ne seront plus que des copies, que vaut une copie ? Par son caractère unique et émotionnel, la lettre d’amour manuscrite est toujours une œuvre d’art, quel qu’en soit l’auteur. L’amoureux qui écrit est un artiste à part entière. L’œuvre originale ne vibre pas de la même façon qu’une copie : elle possède une puissance charnelle unique grâce à la main qui s’est posée sur le papier, la plume qui a tracé les lettres, l’enveloppe qui l’a respirée ….

J’en veux pour preuve anecdotique, la lettre que j’avais adressée comme chaque jour, à Bruxelles où habitait un amour de jeunesse inoubliable, alors que j’avais contracté une angine blanche, maladie particulièrement contagieuse. Elle m’a répondu par retour en manifestant beaucoup de joie parce que je la lui avais transmise : elle trouvait que c’était comme si je l’avais prise dans mes bras et embrassée….

Le moment venu abandonnez donc l’idée de recourir à la stupide et destructrice e-lettre de La Poste pour vous exprimer. Vous trouverez bien le moyen de faire parvenir vos précieuses déclarations par d’autres moyens : l’amoureux et l’amoureuse manquent rarement de persévérance, et encore moins d’imagination ! Et vous y parviendrez d’autant mieux que, comme nous ne sommes pas totalement naïfs, et pas encore aveugles, la disparition de La Poste pour être remplacée par des transporteurs privés poursuit son bonhomme de chemin depuis ce 1er janvier 2023, tout comme d’autres institutions, également déjà sous perfusion d’Excel…

Alexandre Adjiman

Le 4 janvier 2023

Dans mes lectures :

« Les sept nuits de la reine » Christiane Singer, Albin Michel, Le livre de poche, 2022

« Éloge du mariage, de l’engagement, et autres folies » Christiane Singer, Albin Michel, Le livre de poche, 2000

« Excel m’a tuer, L’hôpital fracassé », Dr Bernard Granger, Odile Jacob, 2022

« Fragments d’un discours amoureux » Roland Barthes, Le Seuil, Le livre de poche 1977

«1,2,3 bonheur,  Le bonheur en littérature » Gallimard, collection Folio 2006

« Seul ce qui brûle … »

« Seul ce qui brûle » est le titre d’un roman de Christiane Singer, récit d’une folle passion d’amour inspiré d’une nouvelle de Marguerite de Navarre qui se déroule au XVI ème siècle.

Si la plupart des philosophes condamnent les passions comme grandes perturbatrices de la raison, cette brûlante et vertigineuse histoire révèle ici les atouts insoupçonnés de ce sentiment, qui s’est vu confronté à un abîme de flammes et de souffrances. 

Je sens votre esprit s’aiguiser et se délecter d’avance de la suite. Malheureusement je ne peux vous dévoiler ici l’histoire dans ses détails car vous y perdriez en intérêt et en plaisir de lecture, et je m’en voudrais terriblement, D’autant que pour que rien ne manque à ce plaisir, le roman a obtenu en 2006 le prix de la langue française. Vous ne regretterez pas vos 4,50 €

Si je vous en parle tout de même, c’est que j’ai trouvé dans la puissance de cette passion un lien avec l’actualité dans la condition des femmes aujourd’hui, en Iran.

Tout commence le 13  septembre 2022. Les agents de la police dite de la moralité arrêtent une jeune femme de 22  ans d’origine kurde, Mahsa Amini, pour un voile qu’ils jugent mal ajusté. Mahsa Amini décédera trois jours plus tard à l’hôpital où elle avait été transférée dans le coma, et ses funérailles seront suivies d’une explosion de colère qui se propage dans tout le pays.

Dès lors, partout le mur de la peur cède et les femmes prennent des risques considérables en défiant le régime par des manifestations dans la rue, voile retiré, parfois même brûlé. Des risques ? C’est peu de le dire ! Qui peut décider de sortir dans la rue en sachant qu’il ou elle pourrait ne plus revenir, ne plus jamais revoir sa famille, perdre la vie sous les balles, ou être arbitrairement arrêtée, violée ou torturée ?

C’est une résistance certes, mais à la différence de celle des résistants que nous connaissons dans les conditions de guerre, qui œuvrent le plus souvent dans l’ombre, elles résistent à visage découvert, au sens propre comme au figuré !

Soyons précis : ces iraniennes sont des kamikazes, elles affrontent le suicide  en toute connaissance de cause. Mais ce n’est pas un suicide pour déserter la vie ! Bien au contraire, elles prennent le risque de mourir par amour et passion de la vie, et c’est cette passion qui brûle en elles, qui est leur flamme, et qui les fait scander « Zan, zendegi, azadi ! », « Femme, vie, liberté ! » 

Qui sont ces femmes, comment en sont-elles arrivées là ?

L’Iran est un pays d’environ 85 millions d’habitants. Le régime a estimé qu’il comportait 21 millions d’illetrés (2014), et nous pouvons imaginer que la majorité d’entre eux sont des femmes, puisque depuis l’avènement de la République Islamique (1979) les filles n’ont pratiquement plus accès à l’école.

Mais les iraniennes ont connu des conditions de vie équivalentes à celles qui prévalaient en occident dans les années 60. Elles étaient députés, ministres, médecins, journalistes, enseignantes, portaient des habits colorés, des mini jupes….. élevaient leurs enfants, et se déplaçaient librement. Leurs revendications d’aujourd’hui ne sont pas un fantasme, et si les jeunes femmes manifestantes n’ont pas connu cette époque, leurs mères la leur ont certainement racontée.

Avec la révolution islamique la polygamie redevient légale, l’âge minimum du mariage des filles passe de 15 à 9 ans et l’absence du port du voile est puni de 70 coups de fouet. Les hommes reçoivent tous pouvoirs de décision concernant leur famille, y compris les déplacements de leur femme, l’éducation religieuse, la garde des enfants. L’école est inaccessible. Elles sont enchaînées.

Est-il humainement possible de vivre une aussi grande brutalité de changement de conditions d’existence ? L’étincelle Mahsa Amini a mis le feu aux poudres, et dans « Ce qui brûle » le héros, l’amoureux fou, est persuadé que les femmes portent en elles des ressources d’essence divine leur permettant de dépasser le réel, de le traverser pour aller au delà et affronter la mort.

(Extrait : arrivé au terme de sa vie, l’homme qui a vécu la passion que je vous disais se confie à un ami qui lui est cher en ces termes) « Je veux surtout dans cette lettre vous parler des femmes. Vous vous étonnerez peut-être que, si près de la mort, je parle des femmes et non de Dieu. C’est que cette distinction m’apparaît de plus en plus factice. Quelle voie pourrait mener ailleurs qu’à l’unité première ? Et si j’osais aller jusqu’au bout de ma pensée, je vous dirais : quelle voie peut nous mener ailleurs que nulle part, puisque c’est là notre matrice première et dernière, ce nulle part de vertige que, bien avant la mort, les femmes savent si bien nous ouvrir ».

Je ne peux pas omettre de dire que les iraniens aussi, les hommes donc, brûlent désormais de la même passion pour la vie et la liberté que les iraniennes. Ils participent et encouragent le mouvement, même si pendant des années ils ont gardé le silence, se rendant complices par inaction. Nul ne peut les juger, car nul ne peut dire quel serait son comportement sous la torture ou un régime de la terreur.

Aujourd’hui ce régime reste de fer, et jette les hommes en prison ou les condamne à mort par centaines pour avoir participé à des manifestations de soutien à la cause des femmes, lesquelles poursuivent leur combat quotidien. En parler c’est le minimum que nous puissions faire, et aussi contribuer à diffuser la vidéo qu’elles ont faite pour nous, en français, comme elles le demandent (en pièce jointe).

Au delà de l’Iran, il me semble que s’enquérir de ce qui brûle chez nos amis, ou chez nos hommes politiques, peut nous renseigner assez bien sur ce qu’ils considèrent être essentiel dans leur vision de la vie.

Ainsi, chez le président ukrainien Volodymyr  Zelensky, il ne fait aucun doute que c’est la liberté de son pays, son indépendance, l’amour de son peuple, de son histoire, de sa patrie, de ses soldats…. qui brûlent en lui.

Mais qu’est-ce donc qui brûle chez Emmanuel Macron lorsqu’il tend la main au président iranien Ebrahim Raïssi (20 septembre) ou qu’il s’installe dans la loge de l’émir du Quatar (15 décembre)  pour le match France-Maroc ?

Et puisque nous arrivons au terme de cette année 2022, peut-être avez-vous déjà une idée de ce qui fera de vous une iranienne ou un iranien, et brûlera en vous en 2023 ?

Alexandre Adjiman

le 16 décembre 2022

Je joins donc l’émouvante vidéo des jeunes combattantes iraniennes (5’27 »). J’ai retenu celle-ci parmi de nombreuses autres car elle présente la particularité d’avoir été publiée dans « Le Temps », le quotidien Suisse. Cette publication m’est apparue comme un événement remarquable par l’abandon de leur neutralité légendaire par les Suisses, pour ce parti pris en faveur des iraniennes. Tout de bon les Suisses ! Faisons circuler, les iraniennes et les iraniens le sauront et cela leur donnera encore plus de force!

Dans mes récentes lectures :

« Lettres persanes », Montesquieu, 1721, Éditions Magnard, 2013

« Ce qui brûle », Christiane Singer, Éditions Albin Michel, 2006, Le livre de poche

« Le Diable n’existe pas »  film réalisé par Mohammad Rasoulof avec Ehsan Mirhosseini, Shaghayegh Shourian (2020), sur l’Iran et le quotidien des Iraniens.

« Impromptus », André Comte Sponville, Presses Universitaires de France, 1996

« Il avait plu tout le dimanche » Philippe Delerm, Mercure de France, Folio, 1998

https://youtu.be/FAvG_YApfwg

Vidéo : copyright YOUTUBE

Un tableau ne s’explique pas…

Par les temps qui courent nous avons besoin d’Art, de quitter le réel pour voir la vie sous un autre angle, et c’est pourquoi j’ai toujours eu des artistes parmi mes amis.

« Vu sous cet angle » est justement le titre de la chronique d’un ami, guide professionnel au Louvre, mais aussi beaucoup dans le Val de Loire qu’il affectionne particulièrement, Bruno de Baecque. Il visite des expositions, prend des photos, et « guide » notre regard vers un ailleurs…

Sa chronique du jour, que j’ai envie de partager avec vous, nous emmène au Musée d’Orsay qui consacre une exposition au peintre norvégien Edvard Munch, dont le tableau le plus célèbre est « Le cri »….

S’il n’y a pas beaucoup de gaîté dans les tableaux de Munch, il y a beaucoup d’émotion, des émotions simples qui nous parlent, des émotions qui nous rappellent que nous sommes vivants….C’est beaucoup !

C’est ici : https://vusouscetangle.net/chronique/munch-ne-crie-pas-il-peint/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=chroniques

Merci Bruno !

Alexandre Adjiman

le 13 décembre 2022

Spinoza et la pichenette de Dimorphos.

Mardi 26 septembre 2022, à 1h15 du matin, un vaisseau de l’agence spatiale américaine a donné une pichenette à l’astéroïde Dimorphos, dans le but de le faire dévier de sa trajectoire. Enfin… une pichenette très spéciale, à 30 000 kms/h, sur une cible qui mesurait 170 mètres de diamètre, et après avoir parcouru 14 millions de kilomètres !

Explosion de joie au centre spatial américain ! On peut bien le comprendre, pour peu que l’on se soit essayé au tir à la carabine sur des ballons en mouvement à un stand de foire !

Car comme vous le savez sûrement, tout bouge tout le temps : notre planète d’où le vaisseau américain est parti, mais aussi toute sa galaxie, dont la voie lactée, et l’Univers pour cause d’expansion ! Enfin bien sûr le minuscule astéroïde Dimorphos, dont on a justement voulu modifier la trajectoire par cette action….

Si les ingénieurs et scientifiques ont pu toucher Dimorphos malgré le nombre incroyable de données nécessaires pour y parvenir, c’est que l’Univers est calculable : tout y est donc parfaitement prévisible.  On n’imagine pas en effet que cet exploit soit le résultat du hasard ou de la chance. De ce point de vue, il est possible d’affirmer que la « construction » de l’univers est parfaite.

Si aujourd’hui nous avons les moyens de ne pas en douter, ce n’était pas le cas au XVIIe siècle.

Pourtant Baruch Spinoza (1632/1677), philosophe néerlandais, juif sépharade (du Portugal), est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont une « Éthique » qui s’appuie déjà entièrement sur l’idée d’un Univers parfait et calculable !

Une éthique est une discipline qui a pour objet de proposer une façon de naviguer à travers la vie. Elle est souvent confondue avec la morale, car la morale est généralement associée à une éthique.

En quoi consiste l’Éthique de Spinoza ?

Très résumée, son intuition est que puisque l’observation du fonctionnement de la Nature montre qu’elle est parfaite, et Dieu étant lui-même considéré dans la Bible comme incapable d’imperfection, les deux se confondent : Dieu et la Nature ne sont donc qu’une seule et même « substance », selon sa terminologie.

Cette idée n’est pas du goût des instances religieuses de sa communauté qui, bien qu’il soit croyant, l’accusent d’athéisme. Spinoza nie être athée, mais refusant obstinément de modifier son point de vue, il est excommunié en 1656. Il poursuit néanmoins ses réflexions, et son Éthique sera publiée peu après sa mort, en 1677.

La performance de la pichenette donnée à Dimorphos est une introduction au principe de fonctionnement de l’Univers sur lequel Spinoza va construire son « éthique », à savoir qu’il n’y pas d’effet sans cause.

En effet, tout évènement résulte d’une cause : qu’elle soit ou non connue, que l’évènement puisse ou non s’expliquer, ne modifie pas l’idée qu’une cause existe. Depuis Spinoza seules quelques avancées scientifiques nées de la physique quantique permettent de penser qu’il pourrait exister des événements sans cause, mais cela n’est pas encore complètement démontré.

Spinoza pousse le raisonnement très loin, jusqu’à dire que la conséquence de cette situation permet d’affirmer que tous les élèvements à venir préexistent déjà…

Est-ce à dire que TOUT serait prévisible ? Oui et non.

OUI, car l’enchaînement des causes et des effets sera toujours logique au regard du fonctionnement de l’Univers qui est immuable, mais NON, elles ne sont pas pour autant prévisibles car notre cerveau n’a pas toujours la capacité de voir toutes les conséquences des évènements dont nous sommes pourtant la cause…

Des exemples ? Oh c’est très simple ! Certains dysfonctionnements climatiques que nous voyons aujourd’hui ne sont-ils pas reconnus comme la conséquence directe de nos décisions de bétonner, de détourner des rivières, de polluer, de déraciner…  dont nous avons compris, mais un peu tard, le rôle initiateur ?

L’Éthique de Spinoza préconise donc le respect du fonctionnement de la Nature dans les décisions que nous avons à prendre. Il ne le savait pas, mais sa vision est l’un des tous premiers pas vers une attention portée à l’écologie ! Il est probable qu’il aurait soutenu avec force l’idée de sobriété dans les choix de gouvernement de la société… et dans nos choix personnels.

Lorsque nous prenons des décisions contraires aux lois de la Nature, Spinoza les qualifie « d’inadéquates ». Difficile de faire plus simple et plus explicite, non ?

Par extension du principe de cause à effet, et par expérience, nous savons que les multiples décisions que nous prenons au quotidien génèrent des conséquences qui s’avèreront plus tard avoir été adéquates ou… inadéquates, au regard de nos intentions initiales.

Des exemples ? Changer de métier, s’unir, déménager, se nourrir… tous ces évènements sont bien sûr des « causes » qui génèrent des effets dont nous ne percevrons qu’avec le temps s’ils se sont révélés conformes à nos espérances. Dans nos décisions d’ordre personnel, c’est à notre propre nature qu’il s’agit de se conformer, celle que nous sommes censés connaître, en prenant des décisions en « adéquation » avec celle-ci.

Si la philosophie de Spinoza semble à la fois logique, belle et d’une certaine simplicité grâce à des prises de décision logiques et rationnelles, peut-elle nous permettre de vivre une « vie bonne » comme il le prétend ?

Je rappelle qu’un peu plus tard les philosophes des Lumières ne disaient pas autre chose, avec leur exigence de s’appuyer sur la Raison pour rêver d’un fonctionnement de la société qui permettrait « liberté égalité et fraternité ». Et que concernant Dieu, Voltaire en fera « le grand horloger », tandis les francs-maçons en feront « le Grand Architecte de l’Univers ».

Malheureusement l’Histoire et les informations dont nous sommes gavés chaque jour font beaucoup plus que nuancer certains éléments de l’Éthique.

Pourquoi tant de décisions quotidiennes sont-elles inadéquates !? Pourquoi tant de guerres, de dictatures, de décisions politiques inégalitaires, de misère, d’intolérance, et parfois tout simplement de relations tendues avec notre voisin(e), des amis, de la famille ….? !

Spinoza n’aborde pas cette question, mais analysant ce que nous sommes il affirme que le moteur de nos décisions serait le « DÉSIR ». Le Désir est l’essence de l’Homme, écrit-il. Autrement dit c’est le Désir qui nous différencierait des animaux.

Eh bien je trouve que c’est une très bonne nouvelle ! Grâce à nos désirs nous avons des sentiments, des émotions, nous sommes capables d’amour, de jugements, d’erreurs, d’opinions, et de pulsions de vie qui boostent notre imagination et notre créativité…. !

De là conclure que le Désir pourrait être le grain de sable et la cause inadéquate de note incapacité à nous conduire selon son Éthique, il n’y a qu’un pas…

Que la philosophie de vie de Spinoza soit austère et difficile cela ne fait aucun doute, et telle fut sa vie : austère et difficile.

Néanmoins, elle me semble surtout être une philosophie de l’action et de la responsabilité. Car si nous admettons que la logique de l’enchainement inéluctable de cause à effet est vraie, nous devons admettre, et Spinoza l’affirme, qu’elle n’est pas une fatalité, et qu’elle n’empêche nullement notre libre arbitre d’exister !

Notre libre arbitre consiste en présence de chemins pour sortir d’une situation inadéquate. Même si d’après Spinoza « tout est déjà écrit », (comme l’affirme également une philosophie arabe, maktoub), et pour les mêmes raisons « tout peut encore s’écrire » : il faut pour cela décider d’en être nous-même la cause, pour permettre que les effets se produisent.

Si vous doutez de votre libre arbitre, voici quelques exemples qui prouvent son existence, et la possibilité de donner une pichenette à des situations inadéquates afin les faire dévier de leur trajectoire : de la résistance en cas de guerre ou d’oppression, de la désobéissance civile, de la solidarité, les manifestations des Iraniennes, le courage et la force mentale des prisonniers dans les camps de la mort, de l’insoumission, de la transgression….

Malgré la reconnaissance mondiale de son apport à la philosophie, et des voix qui s’élèvent pour le réhabiliter, Spinoza est encore aujourd’hui un excommunié. Il a néanmoins eu plus de chance que Giordano Bruno, brûlé vif au Campo de’Fiori à Rome en 1600 comme hérétique, pour avoir défendu les thèses (jugées inadéquates…) de Copernic sur l’héliocentrisme. Bon, lui non plus n’est toujours pas réhabilité par son Église…

Ainsi nous voyons clairement qu’une absence de décision peut être aussi inadéquate qu’une autre que nous prenons….

Alexandre Adjiman

le 19 octobre 2022

Dans mes lectures :

« L’Ethique dans tous ses états », Axel Kahn, 2019, Editions de l’Aube

« Spinoza, Méthodes pour exister », Maxime Rouere, 2010, Edition CNRS

« Le miracle Spinoza, Une philosophie pour éclairer notre vie »2017 Librairie Fayard

« Le problème Spinoza », Irvin Yalom, 2018, Le livre de poche

« Vivre avec nos morts », Delphine Horvilleur, 2021, Gallimard

« Se vouloir du bien et se faire du mal, Une philosophie de la dispute », Maxime Rouere, 2022, Flammarion

« Désobéir » Frédéric Gros, 2017, Librairie Eyrolles

C’était Charles III… avant Charles III !

Actualité oblige, Alain-Georges Emonet, contributeur émérite à VERSUS, nous narre ici avec sa verve habituelle, sa rencontre épique avec le futur roi d’Angleterre tout juste un mois avant que son destin ne soit bouleversé…. Mais ne vous y trompez pas, c’était en 1977, et non en 2022….!

Depuis 1907, Deauville vit à chaque été au rythme du « jeu des rois » autrement appelé polo. Depuis cette date, la ville du Duc de Morny accueille les pratiquants les plus talentueux ou les princes les plus joliment couronnés de ce sport.

70 ans plus tard, se pose sur la piste d’atterrissage de l’aéroport de Deauville Saint Gatien un avion aux armes de la couronne d’Angleterre. En descendent écuyers, soigneurs et joueurs d’une équipe de polo britannique dont… Charles Philip Windsor, Prince de Galles et héritier de la couronne britannique.

Cette fois, contrairement à sa dernière escapade à Bordeaux en mai de cette même année, ce n’est pas lui qui pilote le bimoteur.

Le lendemain, botté de noir, le maillot immaculé et le maillet viril, le prince dispute avec ferveur l’issue d’un match incertain contre des cavaliers latino-américains.

Un match de polo se déroule sur 4 à 8 périodes au terme desquelles les joueurs sont appelés à descendre de leurs montures pour boucher les trous provoqués par les sabots des chevaux et les coups de maillet intempestifs. L’herbe de l’hippodrome de la Touque n’échappe pas à cette tradition. C’est l’un des codes de « gentleman » de ce sport envers les joueurs suivants qui fouleront ce gazon. Aucun cavalier ne s’y soustrait. Fût-il un futur roi…

Les spectateurs sont aussi appelés en renfort. Et celui qui m’y invite d’un geste mesuré mais signifiant, n’est autre que le Prince Charles. Il a revêtu un shetland bleu marine et s’active de son pied botté. A sa hauteur, sous les yeux de ses deux gardes du corps à distance respectable, j’entame une conversation aimable dans un anglais approximatif, ayant retenu les règles élémentaires de ce sport, et enthousiasmé par le fait qu’au polo comme au football, un but se dit « goal »…

Notre mission de rebouchage arrivant à son terme, toujours en compagnie princière, nous nous dirigeons vers le paddock lorsque le président du Deauville International Polo Club nous invite à prendre un rafraichissement dans un établissement à proximité, plus connu pour ses activités nocturnes que pour ses dégustations d’Earl Grey.

L’endroit a été privatisé et sécurisé par les organisateurs. L’aéropage y est des plus huppés et les beautés féminines font la réputation d’une célèbre agence parisienne dirigée par une femme connue par son seul prénom.

Une voix derrière moi et (moment de bonheur), une interprète ! Le prince s’adresse à moi pour…me remercier. Il me précise qu’il souffre parfois de douleurs aux genoux qui le gênent pour poser son talon dans les trous du gazon. Et qu’il avait apprécié mon aide. Je crois en rester là mais il tient à me préciser que c’était le reliquat du premier saut en parachute qu’il avait effectué au début de sa formation militaire. Et de me donner quelques détails vite oubliés.

Au terme de cet échange, je lui indique que j’aurai peut-être le plaisir de le voir le lendemain à l’hippodrome de Clairefontaine où le jockey français le plus célèbre du moment, Yves Saint Martin, allait courir. Mais en lieu et place d’une réponse de politesse, le futur souverain se lance dans une critique des jockeys et leur usage immodéré de la cravache, vantant « le noble équipage » que constituaient le joueur de polo et sa monture. Peut-être déjà les prémices d’une conscience environnementale ? Et de conclure en me regardant dans les yeux « mais ce n’est peut-être pas à écrire« …

Effectivement, je ne vis pas Charles d’Angleterre le lendemain à l’hippodrome. Il avait choisi de faire du windsurfing les cheveux et le shirt rayé dans le vent. Nous étions le 21 août 1977.

Un mois plus tard, jour pour jour (selon les biographes ou les romanciers) le Prince de Galles, au cours d’une partie de chasse, croisait pour la première fois Diana Spencer…

Alain-Georges Emonet

le 12 septembre 2022

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L’a-perception d’Emmanuel Macron

Nous connaissons tous la difficulté qu’il y a bien souvent à percevoir la réalité de la réalité, qu’il s’agisse de l’observation scientifique de phénomènes, de la compréhension d’un comportement, ou de l’analyse d’évènements.

Qu’est-ce que la perception ? C’est l’activité mentale que nous déployons lorsque nous observons quelque chose : autant dire tout le temps ! Ainsi l’utilisation de l’un ou l’autre (ou plusieurs) de nos cinq sens, associée à notre mental, à nos expériences, à nos croyances… est tellement automatique que nous n’en sommes généralement pas conscients.

Intuitivement, vous pouvez certainement comprendre que cette activité mentale étant dotée d’une part d’une grande imagination, d’autre part d’affections positives ou négatives de toutes sortes, elle peut introduire un biais dans notre observation, la rendant erronée.

Si dans bien des cas ce biais n’a pas ou peu d’impact sur notre analyse, dans d’autres il peut provoquer des incompréhensions ou des malentendus.

J’ai puisé quelques exemples dans « Le théorème du parapluie, ou l’art d’observer le monde dans le bon sens », un livre entièrement consacré à nos erreurs de perception, et par voie de conséquence de jugement, dans le domaine des sciences. De quoi nous faire réfléchir sur certaines de nos certitudes… Jugez-en…

Connaissez-vous le Chimborazo ? C’est un volcan planté au cœur de la Sierra équatorienne. Il n’est plus en activité depuis près de quinze siècles. À 6263 m, il surplombe les plateaux andins, et les alpinistes du monde entier viennent relever le défi d’atteindre son sommet de neiges éternelles.

C’est que les guides touristiques affirment qu’il s’agit du plus haut sommet du monde… !

Plus haut que l’Everest et ses 8848 mètres ?

Oui, plus haut, car l’Everest bénéficie d’une erreur de… perception ! La terre n’étant pas ronde mais légèrement aplatie au niveau des pôles et gonflée au niveau de l’équateur, le niveau de la mer qui sert de mesure à l’Everest y est moins élevé qu’à l’Équateur. Une mesure à partir du centre de la terre pour les deux géants serait donc scientifiquement plus exacte (ou équitable ?) Résultat : 6382,6 m à l’Everest contre 6384,4 m au Chimborazo.

D’accord, il ne s’agit que de 1,80 m … Pour vous qui lisez ces lignes cela n’aucune importance, mais pour les alpinistes qui désirent défier les géants, les derniers mètres du Chimborazo seront évidemment leur plus grande fierté : le toit du monde !

Voilà une certitude mathématique bien perturbée par le changement de la base de repères, qui nous invite à se poser quelques questions de méthode, si nous voulons être précis…

Sur la plage, cet été, vous pensiez percevoir correctement le mouvement de l’eau devant la marée ? Détrompez-vous !

Car lorsque nous voyons la mer « monter », en réalité, sur un plan physique, elle descend, tandis qu’elle monte lorsqu’elle se retire… ! C’est la rotondité de la terre qui, là encore, nous donne cette illusion, due à sa courbure qui ne nous est pas perceptible : à nos pieds, la terre est « plate » !

Pour vous en convaincre prenez une orange et laissez tomber quelques gouttes d’eau sur sa surface, vous les verrez « descendre » vers la gauche ou la droite…. Ainsi une mesure extrêmement précise du déplacement de l’eau à la surface terrestre montrera qu’à marée montante elle descend comme l’eau à la surface de votre orange.

Voici maintenant une autre étonnante erreur de perception, celle de notre apparente immobilité. Je suppose que vous ne lisez pas cet article en conduisant. Mais vous êtes peut-être dans un train, ou assis(e) chez vous. Bref il vous semble être immobile. Il n’en est rien.

Vous êtes le minuscule constituant d’un vaste espace à l’intérieur duquel vous ne cessez de bouger. La Terre tourne sur elle-même en 24 heures et vous tournez avec elle ! Si vous êtes aux latitudes de la France, vous parcourez 30 000 kms toutes les 24 heures à 1250 kms/h…. La Terre sur laquelle vos pieds sont posés, parcoure chaque année 940 millions de kms à 30 kms/seconde…  Quant à la voie lactée dans laquelle vous vous situez elle se déplace elle-même à plus de 2 000 000 de kms/h…. Vous avez le tournis ? Non, car vous êtes « relativement » immobile…

Bref, tout bouge tout le temps, et l’immobilité absolue n’existe pas : il n’existe que des immobilités relatives, c‘est à dire des immobilités perçues comme telles en raison de leur mesure apparente par rapport à d’autres éléments mobiles. A quoi ça sert ? Et bien entre autres, à ce qu’un satellite placé sur orbite demande à votre GPS de vous informer que tous comptes faits, vous devez tourner à gauche dans 25 mètres pour atteindre votre destination…

Vous l’avez sûrement compris, percevoir suppose le désir d’aller au-delà des apparences. Est-ce compliqué ? Oui et non : je vous ai rapidement expliqué quelques phénomènes scientifiques imperceptibles que vous avez compris et perçus en quelques secondes. Mais toutes ces observations ont nécessité d’énormes travaux, de la persévérance, des remises en causes phénoménales de certitudes, des conflits et des procès, l’invention de nouveaux instruments, et la réalisation de calculs compliqués le plus souvent sans ordinateur à leur époque.

Pour un homme politique avoir une juste perception des situations est évidemment primordial pour prendre des décisions. Qu’en est-il de la perception d’Emmanuel Macron lorsqu’il affirme que nous entrons dans « la fin de l’abondance » ?

Nous sommes bien obligés d’en déduire que lors de son premier mandat il a perçu les Français comme vivant dans l’abondance.

Nous ne pouvons donc que conclure, par exemple, à l’échec définitif des Gilets Jaunes dans leur volonté d’exprimer leur dramatique précarité, au moment où le litre d’essence ne coûtait que quelques centimes de plus. Nous le savions déjà, mais nous ne pouvions imaginer combien la perception d’Emmanuel Macron quant à la nature de ce mouvement au regard de sa définition de l’abondance pouvait être aussi erronée. C’est chose faite.

Nous avons également entendu sa fierté d’avoir mis en place, alors qu’il était ministre des Finances de François Hollande, le développement des emplois Uberisés. Visiblement (si l’on peut dire), il ne perçoit pas la précarité, proche de l’esclavage moderne, qui caractérise ces emplois, et se dit même prêt à en développer encore le concept si besoin.

Mais que penser alors de sa perception de ce qu’est un « travail », ou de sa notion même d’emploi alors qu’il dit avoir un objectif de « plein emploi » ?

Enfin, bien que n’ayant été élu que par moins de quatre électeurs inscrits sur dix, avec un taux d’abstention record, et bien que n’ayant pas de majorité parlementaire, il ne semble pas percevoir que son programme de réformes est désormais minoritaire dans l’opinion publique….

Cette façon délibérée de mépriser la réalité, que j’appelle une a-perception, est un phénomène bien connu : presque tout ce qui bouscule l’ordre établi, tout ce qui dérange les convictions, contrarie l’expérience, peut générer une forme de déni du réel, allant parfois jusqu’à l’absurde…

C’est ainsi qu’il subsiste par exemple une croyance encore bien ancrée que la terre serait plate ! Emmanuel Macron y souscrirait-il ? L’Everest serait-il le plus haut sommet du monde « quoiqu’il en coûte ? »

Probablement pas. Néanmoins, affirmer que les Français vont perdre leur train de vie d’abondance serait risible s’il n’y avait pas derrière cette conviction du Président de la République beaucoup trop de personnes (pourtant bien connues de lui) que cette perception de leurs conditions de vie ne fait pas rire du tout.

Avant de conclure il existe tout de même une hypothèse qu’il me parait difficile de ne pas envisager, peut-être y avez-vous pensé : Emmanuel Macron perçoit bien toutes les contrariétés et oppositions qui se dressent devant lui, mais il n’en n’a cure. Son éthique personnelle lui commande d’accomplir la mission dont il est persuadé que la Providence l’a chargé. D’ailleurs, après que l’opinion publique l’eût surnommé Jupiter, il a récemment dit préférer le surnom de Vulcain…

Vulcain ? Fils de Jupiter, il est le feu qui, pour le bien ou pour le mal, dévore et détruit. Ce qui le rend utile et dangereux à la fois….(Wikipédia).

Merci pour votre fidélité, et bonne rentrée !

Alexandre Adjiman

le 31 août 2022

NB : au pays du Chimborazo on utilise l’expression « c’est un Chimborazo ! » pour dire d’un sujet ou d’un travail qu’il est difficile, ou énorme, faisant ainsi référence à l’imposante masse de ce volcan et à la difficulté de le vaincre…. Vous trouverez bien l’occasion de l’utiliser dans un dîner en ville !

Dans mes lectures :

« De la vérité dans les sciences » Aurélien Barrau, Éditions Dunod, 2019

« Le théorème du parapluie », Mickaël Launay, Editions Flammarion, J’ai lu 2019

« Spinoza, Méthode pour exister » Maxime Rovere, CNRS éditions 2019

« Excel m’a tuer, L’hôpital fracassé » Bernard Granger, Éditions Odile Jacob, 2022

« La réalité de la réalité, confusion, désinformation », Paul Watzlawick, Points Essais Seuil, réédition 2014

« Éloge de l’hypocrisie » Olivier Babeau, Éditions du Cerf, 2019

« Comment faire son propre malheur », Paul Watzlawick Points Essais Seuil, réédition2014

« L’art d’avoir toujours raison », Arthur Schopenhauer, Edition des Mille et une Nuits, 2021 (réédition)

Les routines assassinées

Actuellement sur les écrans, le film Petite fleur est une histoire de routine : tous les jeudis, l’acteur principal tue son voisin ! Il le tue toujours sur la musique de Petite fleur de Sydney Bechet, que ce voisin,  grand amateur de jazz, affectionne particulièrement. Le caractère routinier est assuré par le fait que bien qu’assassiné et enterré le même jour, le voisin renait chaque semaine pour être à nouveau assassiné… le jeudi suivant ! Ainsi la routine est-elle très bien installée.

Je vous rassure tout de suite, le côté surréaliste de la succession de crimes commis les uns après des autres, avec des moyens différents et insolites, n’en fait cependant pas un film d’horreur.

À contrario de ce scénario, nous ne survivrions pas à la quantité invraisemblable de tâches quotidiennes auxquelles nous devons faire face, sans nos propres automatismes, nos routines ! Qu’il s’agisse de s’habiller, de prendre le chemin de son travail, de s’approvisionner, de conduire, etc…. leur nombre est phénoménal, à tel point que nous ne les avons probablement pas toutes identifiées en tant que telles.  

La mémoire et les réflexes nous soulagent de ce qu’il est convenu d’appeler une charge mentale, expression fréquemment utilisée dans la mouvance féministe pour qualifier l’absence de partage de certaines tâches soi-disant uniquement dévolues aux femmes, justement de façon routinière, mais aussi toute l’organisation logistique du foyer.

Si les routines sont une façon confortable de soulager l’esprit des actes répétitifs, elles représentent le double danger de créer une monotonie lassante, et une moindre attention dans les interactions avec autrui. Dans certains cas elles peuvent tuer une relation, qu’elle soit amoureuse ou amicale.

Il en est ainsi des routines qui s’installent dans un couple, avec l’apparition d’automatismes affadissant les émois du début de la relation. « Tombés dans la routine », l’expression signe la fin des passions dévorantes, l’oubli des mots doux, la disparition progressive des gestes d’amour et de tendresse, des baisers volés, et de la créativité qui permet la réalisation des rêves…

Une prise de conscience de cette situation, comme on le voit dans le film précité, peut conduire à une réactivation des désirs réciproques, par suppression ou changement de certaines routines, invention de nouvelles formes de relation, et autres idées anti-routine (ne retenons pas toutefois celle d’assassiner le voisin tous les jeudis), qui pourraient permettre un retour vers l’épanouissement imaginé dans les débuts prometteurs.

Mais nous savons aussi, soit pour l’avoir vécu soit parce que nous l’avons appris de nos ami(e)s, de nos collègues ou de nos lectures, qu’il est parfois trop tard pour faire marche arrière, quand bien même l’abolition des routines aura été décrétée.

C’est qu’il est parfois difficile, dans ce contexte, de désapprendre ce que l’on a appris sur soi-même ou sur la relation concernée, ou encore de ne plus savoir ce que l’on sait désormais. Car les « premières fois » n’ont lieu… qu’une seule fois !

À côté de ces routines facilement identifiables relatives à l’accomplissement des tâches les plus courantes, nous avons aussi des routines plus subtiles, presque indécelables. Je les appellerai volontiers routines furtives (comme les avions du même nom) : elles sont en effet très difficiles à détecter, même par le radar pourtant très sophistiqué qu’est notre propre cerveau !

Du mot routine le dictionnaire donne d’ailleurs deux définitions. La première correspond à ce que nous avons vu plus haut. La seconde est définie comme l’ensemble des habitudes et des préjugés considérés comme faisant obstacle au progrès.

Ces routines, consistant en convictions et certitudes de toutes sortes, sont souvent déduites d’expériences piochées dans le passé, sans autre justification de leur crédibilité que cette simple déduction.

Ainsi, selon le principe que les mêmes causes produisent forcément les mêmes effets, le passé est supposé intuitivement justifier une vision identique de l’avenir. Un pari qui me semble un peu fou, pourtant très utilisé avec beaucoup d’aplomb et de sérieux, et qui donne parfois aux débats la forme d’un dialogue de sourds. C’est qu’il manque à ces préjugés les filtres de la nuance, du contexte, et du temps. Les conditions d’existence de deux évènements semblables mais distants dans le temps ne sont jamais les mêmes : en histoires comme en Histoire, le copié-collé ne fonctionne pas !

J’en donne ici deux exemples pris dans l’actualité politique, non pas pour faire de la politique un sujet, mais parce qu’ils sont connus de tous, et très explicites. Mais il existe beaucoup d’autres routines furtives, issues de nos croyances personnelles, qui inhibent nos raisonnements : éducation, religion, politique, interdits familiaux ou sociétaux, sexualité, histoire ou culture locale…

Depuis 25 ans il semblait impossible de créer en France une union politique de la gauche. Cette impossibilité était devenue une routine dans les esprits de tous les partis et hommes politiques de tous les bords, de telle sorte que personne n’imaginait pouvoir la briser.  En tant que telle, la routine pouvait donc continuer à exister dans les esprits encore 25 ans, si quelqu’un n’avait pas détecté qu’il ne s’agissait pas d’une loi de la physique des solides, mais d’une simple « routine », et qu’elle pouvait donc être combattue. C’est fait.

Le deuxième exemple est celui de la routine que le président Macron avait en tête, à savoir que dès lors qu’il serait réélu il bénéficierait automatiquement d’une majorité au parlement, les électeurs ayant montré dans le passé qu’ils étaient désireux de donner au président nouvellement élu les moyens de réaliser son programme….  Pourquoi la routine changerait elle ?

On ne sait pas, mais il est bien possible que cette fois-ci la routine change. D’où un comportement erratique du président, très peu habitué à l’échec, détestant la contrariété et la désobéissance qui « l’emmerde » selon ses propres termes, il en est très perturbé. Les électeurs auraient-ils perdu la raison ?    

Chacun l’aura sans doute compris, concernant les routines il est plus facile d’exercer son esprit critique vis-à-vis de celles des autres que des siennes !

Ayant dit tout le bien et tout le mal que je pensais des routines, je militerai désormais pour leur usage intelligent et modéré. Et pour cela je suggère de les trier rigoureusement, de briser certaines de leurs chaines afin de préserver notre libre-arbitre, de faire une place à l’imprévu, à la chance, au hasard, à la transgression même s’il le faut, au bouleversement émotionnel si possible, dont je trouve la séquence vidéo ci-dessous, extraite des Demoiselles de Rochefort, très convaincante pour donner envie de remettre en question nos routines…

Et si vous alliez voir Petite fleur ? La routine criminelle qui a inspiré cette chronique en fait un film déjanté et plein d’humour, parfait pour se sortir de la torpeur du temps.

Alexandre Adjiman

Le 16 juin 2022

Dans mes lectures, entre autres :

Et Nietzsche a pleuré, Irvin Yalom 2007, Le livre de poche

Comment avoir de la chance ? Philippe Gabillet, voir la vidéo 6′ Youtube

Petit éloge du sensible, Elisabeth Barillé, 2008, Éditions Folio, Gallimard

Mon cher petit Lou, Guillaume Apollinaire, Éditions Folio, Gallimard

Le courage de la nuance, Jean Birnbaum, 2021, Éditions Seuil

La mise à nu des époux Ransome, Alan Bennett, 1998, Editons Denoël

L’origine de nos amours, Erik Orsena, 2016, Éditions Stock

Éloge de l’optimisme, Philippe Gabillet, 2010, Éditions Saint Simon

Une vie parfaite, F. Scott Fitzgerald, 1963, Folio Éditions Gallimard

Vidéo : copyright YOUTUBE Les demoiselles de Rochefort, 1967 Jacques Demy.