Petit éloge de l’incompréhension…

Pouvons-nous accepter l’incompréhension ?

Personne n’aime être incompris, et nous n’aimons pas non plus ne pas comprendre ! Pourtant nous constatons régulièrement que l’incompréhension nous guette au détour de n’importe quelle conversation à priori banale. C’est que les raisons de la voir surgir sont multiples.

L’incompréhension à laquelle je pense ici n’est pas un simple désaccord sur des façons de voir ou sur des convictions diverses, politiques, religieuses, ou autres. C’est l’incompréhension qui nous mortifie parce qu’elle heurte notre intelligence émotionnelle, parfois même notre intelligence tout court. Elle génère du stress et peut créer d’importants dommages en termes de relations humaines. 

C’est la raison pour laquelle je me suis demandé si nous ne pouvions pas lui trouver quelques vertus, et peut-être même l’adopter parfois comme mode de relation plus serein lorsque nous la rencontrons.

Pour commencer j’ai relevé deux situations dans lesquelles nous admettons assez facilement de ne pas comprendre, ce qui me permet au moins d’affirmer d’entrée que le sujet n’est pas aussi  saugrenu qu’il y parait … à première vue ! (sourire).

C’est par exemple le cas lorsqu’on tente de nous expliquer qu’en physique quantique un neutron peut se trouver en deux endroits en même temps, ou passer par deux lieux distants de millions de kilomètres exactement au même moment…  Notre cerveau a d’énormes capacités de compréhension, (tant mieux !), mais ici nous acceptons  volontiers de déléguer une part de son exploitation à des tiers, sans en prendre ombrage.

C’est aussi le cas lorsque nous manifestons notre scepticisme artistique devant l’incompréhension   d’œuvres comme « Le Jardin des Délices » de Jérôme Bosch, (voir ici) ou « La tentation de Saint Antoine » de Dali (voir ici). Les exemples pullulent car depuis longtemps l’Art a pour objet de nous mettre en situation d’interrogation et de nous étonner. Nous le savons et pouvons même aller jusqu’à être volontaires pour être bousculés lorsque nous visitons des expositions et rencontrons des artistes pour tenter de comprendre ce qu’ils veulent nous dire. Si l’incompréhension demeure, il n’y pas ici péril, et le temps fera peut-être évoluer les choses, ça s’est déjà vu…

Retenons donc simplement de ces deux exemples (nous pourrions en trouver d’autres), la belle plasticité de notre esprit qui, par un effet de notre volonté, montre que l’incompréhension ne conduit pas systématiquement et fatalement à une nécessité de compréhension. Sans doute l’aviez-vous déjà remarqué, mais il n’est pas inutile de le rappeler pour ce qui vient…

Examinons maintenant quelques cas de figure dans lesquels, à l’inverse, l’incompréhension génère un impérieux besoin de comprendre.

  • Vous avez prêté de l’argent à un ami ou à une personne de votre famille qui s’était engagé(e) à vous le rendre dans un certain délai, mais tergiverse et ne le fait pas.
  • Vous apprenez qu’on vous a menti en réponse à une question importante.
  • Vous découvrez chez votre meilleur(e) ami(e) un comportement  qui vous déçoit au point de remettre en cause votre amitié….

Vous connaissez tout cela et je suis persuadé que vous avez vécu vos propres exemples.

Dans ces différentes situations votre besoin de comprendre va émerger : vous voudrez connaître le « pourquoi ? » de ces comportements, entendre une « explication », ou une « justification ». Vous insisterez et argumenterez que vous souhaitez être rassuré(e) sur votre lien, direz que vous attendez une information qui vous aiderait à ne pas dégrader la qualité de votre relation mise en cause par ce qui s’est produit.

Cependant, malgré cela, et bien qu’il reconnaisse les faits et la légitimité de votre demande,  votre interlocuteur ne répond pas à votre attente. Il ne vous convainc pas, ou affirme ne pas savoir expliquer précisément pourquoi il a agi ainsi, ou refuse même de s’expliquer, peu importent les raisons.

Vous êtes dans l’incompréhension face à cette attitude qui vous semble  d’ailleurs « cacher quelque chose »…

Comme précédemment pour la physique quantique ou l’Art, il existe une approche de la situation qui pourrait vous permettre d’accepter qu’il n’y ait pas de « parce que » à votre « pourquoi ? ». En voici quelques éléments parmi d’autres, car la variété des situations est très grande, et nécessite des adaptations au cas par cas.

D’abord, et sauf comportement de mauvaise foi que j’écarte s’agissant d’une personne à laquelle vous tenez, soyons honnêtes : nous n’avons pas toujours à notre disposition une si bonne compréhension de nos actes et de nos décisions, pour que nous soyons en mesure de les exprimer au pied levé !

Autre situation, l’impossibilité de s’expliquer de votre interlocuteur pourrait provenir du fait qu’il soit nécessaire de faire appel à des faits ou des situations se trouvant hors du champ, dans le temps comme dans l’espace, de votre relation. Les développements pourraient alors accroître votre incompréhension ou votre incrédulité, plus que vous rassurer… Ce n’est pas une bonne idée !

Enfin on peut considérer que votre demande ressemble par son contexte à une sorte de confession, et cet exercice n’est plus très en vogue. Les sentiments de faute et de honte s’en trouvent exacerbés, et peuvent expliquer un refus de s’y plier.

Votre interlocuteur perçoit l’une ou l’autre de ces difficultés et ressent le caractère indicible d’une explication qui soit vraie à ses propres yeux (c’est important), et dont parallèlement la logique ou la raison s’accorderont avec les vôtres. Il peut donc se trouver dans une forme de sidération, et être dans l’incapacité de « dire », tout en comprenant que vous avez raison de « vouloir savoir » !

C’est pourquoi Marshall Rosenberg, le gourou américain de la Communication Non Violente (CNV), auteur de « Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) *», dirait probablement qu’exiger une justification dans un contexte de suspicion pourrait s’assimiler à une forme de violence.

Parce que n’avons pas forcément pour nous-mêmes toutes les clés de nos comportements, il nous faudrait parfois savoir renoncer à l’exiger d’autrui.  Sans doute s’agit-il là d’un dépassement de soi, d’une forme d’humilité à l’égard du caractère irréductible de la vie à une histoire simple, et à des logiques compatibles entre tous, compréhensibles par tous.

Il est vrai que la mode est depuis de nombreuses années au « partage » via les réseaux sociaux, à laquelle est venue s’ajouter récemment la « libération de la parole ». Il en résulte l’adoption fréquente, dans les échanges, d’une posture qui prend parfois la forme d’une dictature de la transparence (il faut tout partager) et de son corollaire l’exigence de compréhension (je m’explique sur tout)

Est-il utopique d’espérer un jour voir dans l’incompréhension une alternative naturelle et légitime à la compréhension, permettant d’éviter les litiges et les souffrances qu’elle génère souvent ?

Il me semble qu’il ne faut pas confondre « libération de la parole » avec « liberté d’expression », et que la liberté d’expression suppose que l’on ne confisque pas la liberté de non-expression qui devrait bénéficier de la même légitimité. [Vous avez évidemment remarqué que cette liberté-là n’est autre que celle d’avoir le droit de ne rien dire…]

Et puisque chacun d’entre nous est à l’origine de l’idée qu’il se fait de l’incompréhension, il est possible que la solution soit entre nos mains.

En effet, il est vrai que nous sourions lorsque nous pensons à l’anecdote de celui qui cherche les clés qu’il a perdues sous le réverbère, car il fait nuit, et c’est le seul endroit où se trouve la lumière. Peu importe que la réponse à sa recherche se trouve ailleurs, il cherche là où il estime qu’il a le plus de chances de les voir, c’est la posture qui le rassure….  Nous pourrions donc sourire également de notre persistance à rechercher parfois une compréhension à un comportement là où ça nous arrange, même si là il n’y en pas…

Naturellement j’entends combien peut être grande la frustration de devoir renoncer à comprendre un comportement jugé inacceptable, et de voir s’échapper la possibilité d’obtenir l’explication salvatrice d’une confiance, d’une amitié, et parfois de beaucoup plus.

La méthode ne s’applique pas à tous les cas, mais si vous tentez un jour l’expérience d’accepter votre incompréhension comme une alternative normale à votre compréhension, ne vous étonnez pas de découvrir qu’elle vous libère de bien des tracas,  et qu’elle est le plus sublime des moyens de compréhension.

Alexandre Adjiman

Le 9 octobre 2020

  • « Les mots sont des fenêtres (ou bien des murs) », Marshall B. Rosenberg Ed. La découverte 2004
  •   « Changements : paradoxes et psychothérapie », P. Watzlawick, J. Weakland, R. Fisch Ed. Le Seuil, 1975
  • « Du silence »,David Le Breton, Ed Métaillé 2015
  • « La réalité de la réalité, confusion, désinformation communication », P Watzlawick, Ed. Le Seuil 1978
  • Images (c) voir les liens Internet

Auteur : Versus

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6 réflexions sur « Petit éloge de l’incompréhension… »

  1. …Sujet toujours intéressant et universel quelque soient les cultures et traditions. Incomprehension et Ignorance se rejoignent ou plutôt le manque de connaissance est un grand fléau humain. Mais savoir que l on peut être incompris ou que l on ne peut pas tout comprendre fait preuve de sagesse et surtout de beaucoup de bonheur. On peut s’émerveiller etre heureux sans rien comprendre, vous comprenez (rire). Alors l incomprehension vient elle du mental ou du coeur ?
    Merci Alexandre.

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  2. …Lassé d’ouvrir des fenêtres, et commençant à me taper la tête contre les murs, j’ai fini par en découvrir au sein de ceux-ci des trous, invisible à l’œil nu…et cette recherche est devenue pour moi une nouvelle respiration… c’est un voyage sans fin, au centre de la matière, dans le secret du vitriol, je me suis fait chasseur de trous…

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  3. Magnifique ,entière raisonnance avec mon chemin et la richesse de l’ incomprehentuon de l autre est le cadeau d ‘aller (ou pas )accueillir notre propre émotion pour lui donner légitimité de ce qu il y a se dire dans le puit de notre propre intériorité.

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