Le patch de Zoé

Le patch anesthésiant de Zoé

Zoé a trois ans et demi et je suis son grand-père. Elle habite Rennes.

Samedi dernier Zoé devait avoir une prise de sang, et naturellement elle ne sait pas encore ce que signifie une prise de sang et comment ça se passe.

J’étais en visite chez ses parents pour le week-end, et, avec sa maman et sa grande sœur, nous nous sommes rendus au laboratoire où rendez-vous avait été pris, tandis que son papa partait au marché. Sur recommandation du labo, un patch anesthésiant avait été préalablement posé sur le bras de Zoé une heure avant le rendez-vous. Zoé n’avait fait aucune difficulté à cette pose, les enfants aimant bien, comme on le sait, avoir un pansement à montrer, d’autant plus qu’il n’y avait dans le cas présent aucune blessure douloureuse à panser !

Arrivés au laboratoire, l’ordonnance et les documents étant remplis, il y a un peu d’attente imprévue dans le planning.

Dans la salle d’attente, à la demande de l’infirmière, la maman de Zoé retire le pansement anesthésiant. Puis l’attente se faisant longue, elle doit s’absenter pour accompagner Anna-Eve, la grande sœur de Zoé, à sa leçon de piano de l’autre côté de la ville. Un peu inquiète de devoir me laisser Zoé dans cette situation, je la rassure, et elles partent.

Peu de temps après, l’infirmière appelle Zoé, et nous entrons tous les deux dans une toute petite pièce d’environ six mètres carrés où doit avoir lieu la prise de sang. C’est une pièce assez impressionnante avec des appareils partout, et son grand fauteuil médical muni de repose-bras, fauteuil qui paraît d’autant plus énorme que la pièce est petite…  J’imagine que bien des adultes venus pour une prise de sang peuvent se sentir mal  à la vue de cet ensemble, mais Zoé est parfaitement tranquille et observe tout ce qui se passe.

L’infirmière suggère que je m’asseye dans le fauteuil pour prendre Zoé sur les genoux, puis appelle une autre infirmière pour m’aider à tenir Zoé, en cas de besoin me dit-elle… Ce qui n’a pas pour effet de me rassurer, mais qui n’inquiète absolument pas Zoé, toujours imperturbable, bien que nous soyons maintenant trois autour d’elle, à la maintenir d’une manière ou d’une autre !

Un garrot est posé, Zoé regarde son bras dénudé, et là où habituellement nous détournons le regard, observe sans dire un mot l’aiguille de la seringue s’enfoncer légèrement sous la peau, tandis qu’elle aperçoit qu’un petit tube se remplit d’un liquide rouge…

Tension palpable dans la pièce : personne ne bouge, personne ne pipe mot, tandis que par deux autres fois le petit tube est retiré pour être remplacé par un autre qui se remplira aussitôt… Une longue minute s’est écoulée.

Puis le garrot est défait, l’aiguille retirée, un petit pansement apposé, et Zoé reçoit à ce moment de la main de l’infirmière une superbe image d’animaux, très colorée, sur laquelle est marqué : DIPLÔME décerné à ZOÉ pour la féliciter de son comportement exceptionnel.

Très fière, elle le montrera à sa maman qui arrivera quelques instants plus tard, s’étant dépêchée de revenir soutenir Zoé, après m’avoir envoyé plusieurs messages pour me faire savoir qu’elle arrivait.

A la réflexion, je trouve que Zoé a fait preuve d’une belle confiance envers son grand père. Cette immense confiance, dont j’ai été l’heureux dépositaire, a quelque chose d’émouvant. Car nous savons qu’elle se fera de plus en plus rare au fur et à mesure de l’entrée de Zoé dans le monde des grands. Et si je connaissais naturellement les risques liés à la piqûre,  je ne l’avais nullement préparée à la possible douleur, faisant peut-être confiance à la petite anesthésie locale du pansement, et n’ayant pas le courage de lui transmettre une peur inutile par avance… Les choses auraient donc pu se passer beaucoup plus mal, auquel cas Zoé aurait peut-être changé de regard sur son grand père…

Mais si j’évoque ici cette petite aventure enfantine, c’est que je lui trouve beaucoup d’affinités avec notre quotidien d’adultes, et notamment des liens étroits avec le célèbre mythe de la caverne de Platon*, et ses habitants enchaînés.

L’innocence de Zoé due à son jeune âge, n’a-t-elle pas, en effet, une similitude avec la croyance que la réalité se résume à ce qu’elle sait, au même titre que pour les habitants de la caverne elle se résumait aux seules ombres sur les parois qu’on voulait bien leur projeter, et qu’enchainés ils  étaient persuadés que le monde n’était rien d’autre ? Mais était-ils vraiment enchaînés, et délivrés acceptaient-ils volontiers l’inconfortable réalité du monde ?

Des patchs ne nous sont-ils pas régulièrement posés pour faciliter l’acceptation de décisions que l’on désire nous imposer ? N’en doutez pas, et si tel est le cas, vous lirez utilement « Divertir pour dominer » proposé dans la bibliographie ci-dessous.

Quant aux piqûres, que dire de celles qui, parfois indolores mais aussi parfois douloureuses, pour lesquelles nous tendons quelques fois le bras, par habitude ou par lassitude, pour être finalement dans une servitude volontaire comme dirait La Boétie, dans son célèbre essai éponyme ?

Enfin, bien qu’adultes, sommes-nous vraiment moins sensibles aux diplômes, médailles, et reconnaissances diverses que les enfants ?

C’était une petite vision philosophique tirée d’un évènement banal, survenu à une petite fille de trois ans et demi…

Alexandre Adjiman

Le 25 février 2021

Epilogue : pour la toute petite histoire, une fois sortie du laboratoire Zoé a malencontreusement lâché son diplôme qui s’est envolé avec une bourrasque, et malgré nos efforts pour le récupérer, il s’est perdu ! Après quelques chaudes larmes et petits bonbons, tout est rentré dans l’ordre… 

Bibliographie

Petit éloge de la première fois, Vincent Wackenheim, éditions Folio,2011

Petit éloge de l’enfance, Pierre Pelot, éditions Folio, 2007

La condition humaine en partage, Marc Augé, éditions Payot-Rivages 2021

Divertir pour dominer, Collectif, éditions de L’échappée/ De la découverte, 2010

Discours de la servitude volontaire, Etienne de la Boétie, (1576) éditions Librio

*Le Mythe de la caverne« , Platon, Livre VII de La République. Expliqué en deux minutes sur (c) youtube ici : https://www.youtube.com/watch?v=gK03FpA8S7I

Auteur : Versus

Blog de commentaires sur les faits de société, les films, les livres, la créativité, la politique, les comportements individuels, l'antisémitisme, l'entreprise, l'économie, la famille, et d'une manière générale tout évènement susceptible d'apporter des changements... Je suis Médiateur Professionnel à Tours.

2 réflexions sur « Le patch de Zoé »

  1. J’ai versé ma petite larme puisque je suis maman et « grand-maman »… puisque je comprends très bien le « patch » de votre petite Zoé et tous ces patchs à nous adultes. J’ai versé ma petite larme aussi parce que vous êtes un admirable conteur, avec un cœur précieux tant il est rare d’en posséder un comme le votre, et un style admirable tant par sa douceur que sa précision… et malgré tout: les choses incisives évoquées!
    Elle a beaucoup de chance Zoé de vous avoir pour grand-père!
    Et nous beaucoup de chance de vous avoir comme auteur!
    Merci . Adjiman

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