Hiroshima, et « L’éternel retour »…

J’ai vu « Oppenheimer », actuellement en salles, qui présente de façon très documentée l’histoire de la création de la bombe atomique par l’Amérique pour mettre fin à la seconde guerre mondiale, dans laquelle ils sont entrés le 7 décembre 1941, suite à l’attaque de la base navale de Pearl Harbour par les japonais.

C’est à tort qu’Einstein est souvent associé à la création de la bombe qui fut larguée sur Hiroshima et Nagasaki. Car comme on le voit dans le film, dans lequel il fait une brève apparition, il y a loin de sa théorie, qui a en effet permis de la fabriquer, à sa réalisation technique.

La direction du projet Manhattan, nom de code donné à la création de la bombe, est confiée par un général à Oppenheimer, seul scientifique à disposer alors de l’envergure nécessaire. Très attiré par les valeurs communistes, Oppenheimer s’interrogera constamment sur le sens de sa mission, ce qui lui vaudra de graves ennuis plus tard. Il semble avoir été pris de vertige par le défi de réunir les plus grands scientifiques du monde, et de diriger un centre de recherches ultra secret dans le désert du Nouveau Mexique, à Los Alamos. A tel point qu’un ami lui demandera un jour de retirer la veste militaire qu’il a décidé de porter, par fierté mal placée, afin de rester un civil et un savant.

Le film est construit comme un thriller, ce que fût certainement la réalité, car il s’agissait d’une course contre la montre dans laquelle se jouait le sort de la guerre et peut-être même de l’humanité : avec Hitler au pouvoir et la bombe entre ses mains, tout était possible… Malgré ses trois heures (et 9 secondes paraît-il) le temps passe très vite.

L’essai dans le désert d’une bombe miniature construite sur le principe de la bombe atomique étant concluant, la vraie bombe est immédiatement fabriquée et sera larguée deux fois, les 6 et 9 août 1945, sur Hiroshima et Nagasaki. Pourtant les alliés ont déjà débarqué en Normandie (6 juin 1944), et Hitler s’est tiré une balle dans la tête (30 avril 1945). La fin de la guerre est donc inéluctable, mais le Japon n’a pas capitulé et le nouveau président des Etats Unis, Harry Truman, veut la capitulation.

Arrive alors une scène effroyable : à Los Alamos, ce 6 août 1945 c’est une autre explosion qu’on entend : celle d’une joie totale. Tous les ingénieurs et leurs équipes se sont rassemblés dans un amphithéâtre pour appeler et acclamer Oppenheimer, qui, de loin, entend scander son nom, hésite à les rejoindre, trop conscient de ce qui se passe au même moment au Japon. Il entre finalement dans la salle, regarde ébahi le public en liesse, et l’esprit embrouillé semble ne pas savoir quoi dire, reste d’abord muet. « Le monde se souviendra longtemps de ce jour ! » lance-t-il finalement, et sort. Cris et applaudissements nourris s’en suivent … Pas sûr que ces hourras avaient la même résonnance pour ses supporters et lui.

Le mérite de Christopher Nolan, réalisateur du topic, a été de nous permettre de vivre ces moments d’Histoire en nous plaçant directement dans l’esprit d’Oppenheimer. Nous avons son regard et comprenons ses pensées. Lui qui sait tout de la bombe, de sa puissance destructrice instantanée et de l’impact de la radioactivité a long terme, sait qu’il n’y a pas de joie possible. Et moi, confortablement installé dans mon fauteuil, connaissant la réalité actualisée, je vois et comprends que cette joie est insensée, et un mélange de honte, de tristesse, et de questions m’envahissent.

Ceci peut-il se reproduire ? Interrogé, Christopher Nolan le pense et alerte de vive voix les scientifiques sur la nécessité de prendre en considération l’éthique humanitaire dans les développements technologiques.

On a très envie d’y croire, mais l’Homme n’a pas encore trouvé le moyen de réduire la dimension de son égo. Oppenheimer aurait-il pu refuser la mission ? En théorie oui, en pratique non mais pour les mauvaises raisons habituellement invoquées dans ces cas de figure : on n’a pas le choix, si on ne le fait pas un autre le fera, c’est urgent, Hitler le fera et gagnera la guerre, etc….

Il n’est pas nécessaire de réfléchir très longtemps ou de prendre un manuel d’histoire pour répondre à la question. Si nous ne connaissons pas le nom précis de celui qui a remplacé Oppenheimer à la tête de l’explosion du virus du COVID 19, nous savons qu’il a fait 7 millions de morts (environ 200 000 pour Hiroshima et Nagasaki).

Il n’y a pas non plus eu d’explosion de joie à voir le virus reculer, et pour cause : nous savons que rien n’a changé pour éviter son retour ou d’autres catastrophes : ni l’égo des scientifiques à vouloir écrire leur nom en lettres d’or dans les avancées scientifiques, ni celui les politiques avides de marquer leur passage, quoiqu’il en coûte.

Pour mesurer la valeur d’un instant le philosophe Friedrich Nietzsche proposait de se poser la question : « Aimez-vous suffisamment cet instant pour en voir l’éternel retour ? Non ? Alors cessez de le vivre ». Quant à Milan Kundera, il nous l’avait bien dit : « Notre légèreté est insoutenable ».

Alexandre Adjiman

le 6 août 2023, (soit tout à fait par hasard, 78 ans après Hiroshima….)

Dans mes lectures :

« Un été avec Jankélévitch », Cynthia Fleury, Editions Parallèles, 2023

« Etre à sa place », Claire Marin, Le livre de poche, Editions de l’Observatoire, 2023

« La peur de l’insignifiance nous rend fous », Carlo Strenger, Editions Belfond, 2013

« L’insoutenable légèreté de l’être », Milan Kundera, Editons Folio, 2020

« Et Nietzsche a pleuré » Irvin Yalom, Editions Le livre de poche, 2010

Auteur : Versus

Blog de commentaires sur les faits de société, les films, les livres, la créativité, la politique, les comportements individuels, l'antisémitisme, l'entreprise, l'économie, la famille, et d'une manière générale tout évènement susceptible d'apporter des changements... Je suis Médiateur Professionnel à Tours.

2 réflexions sur « Hiroshima, et « L’éternel retour »… »

  1. Comme il est bon de vous lire très cher Alexandre.
    Plus qu’une envie de ciné  votre texte pose les bonnes questions, celles qui dérangent,  celles qu’on élude mais qui sont pourtant vitales à l’humanité.
    Avec votre efficience habituelle et aiguisée  vous touchez en pleine cible. Je relève donc quelques uns de vos mots si bien choisis: « l’éthique humanitaire « , le choix, l’égo,…la piece et sa place dans le puzzle…
    Autant d’éclairages, historique, scientifique, philosophique, psychologique que social; qui en effet, me font osciller entre honte et peur pour l’avenir.
    Merci beaucoup Alexandre pour votre engagement   la liste de lecture, les grands noms cités (ceux qui ont déjà fait battre mon cœur et ceux que je ne manquerai pas de lire très vite).
    Que puissent votre vigilance et votre humanisme faire écho !
    Sylv

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    1. Je vois avec quelle attention vous m’avez lu Sylviane, c’est un grand plaisir pour moi ! J’ai essayé de rapporter l’effet qu’à produit sur moi la séquence d’explosion de joie à Los Alamos. Si j’y suis parvenu je reçois une très belle récompense ! MERCI ! Alexandre

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