Savons-nous changer ?

S’il est un élément qui caractérise l’ensemble de cette folle année, c’est qu’elle nous a contraints à des changements dans toutes les sphères de nos vies : la famille, les amis,  le travail, les voyages, l’école, les loisirs, la santé, le sport, la consommation…. pour ne citer que quelques-unes.

A part ceux qui sont mûrement réfléchis et décidés, ou ceux auxquels nous adhérons d’emblée comme une augmentation de salaire ou une invitation impromptue à partager un moment de convivialité, nous aimons rarement les changements. Ils bousculent nos habitudes ou nos croyances, ils peuvent être source d’inconfort, de risques, de peurs, d’échecs. De l’annonce d’un licenciement au rendez-vous amoureux annulé en dernière minute, notre manière de réagir caractérise notre capacité de résistance au changement.  

Et si parfois les changements nous font  des signes et nous « préviennent » qu’ils arrivent, ce qui nous permet de nous y préparer, la pandémie a eu ceci de particulier qu’elle nous a obligés à faire face à beaucoup de changements imprévus, en un temps record.  Qu’en avons-nous fait ?

Pour commencer, la vidéo ci-dessous montre de façon ludique et symbolique comment nous parvenons à faire face aux changements dans les meilleurs des cas. (2’36 »)

C’est Magique Non ?

Vous avez certainement reconnu quelques-uns des changements présentés dans cette vidéo pour les avoir vécus. Le déplacement de certaines pièces a permis d’accueillir les changements avec bienveillance. Mais qu’en est-il des changements  imposés par la pandémie ?

Nombreux sont ceux qui les ont mal vécus. A tel point que nous avons parfois découvert avec stupéfaction des comportements que nous n’aurions pas imaginés de la part de personnes que nous pensions pourtant bien connaître. Par exemple le refus du masque, ou un luxe exagéré de précautions sanitaires aberrantes, de la colère, un rejet du formulaire de dérogation, des positions politiques  chez ceux qui n’en n’avaient pas, un repli sur soi, etc.

C’est que dans le cas de la pandémie les mensonges du gouvernement, ses contradictions et ses incohérences, l’opacité des prises de décision, l’absence de concertation, le mépris affiché pour l’identité culturelle française, les promesses non tenues,… ont contribué à la défiance générale. D’où l’échec de notre capacité à suivre les règles imposées et à changer nos comportements, et notre mal être constaté par le ministre de la santé.

Si le changement s’intègre si facilement dans l’exemple de la vidéo, c’est tout simplement qu’il y a, comme vous avez pu le voir, finesse, douceur et intelligence dans les ajustements à l’accueil du changement. L’enseignement que nous en tirons pour la pandémie, est qu’imposer des changements avec brutalité comme cela s’est fait ne pouvait évidemment pas fonctionner !

Il y a un autre enseignement dans cette vidéo auquel vous n’avez peut-être pas prêté attention. En effet, il n’a pas pu vous échapper qu’à la fin de la démonstration l’animateur reprend le cadre qu’il avait nonchalamment  accroché sur le côté, et le pose, très fier de lui d’ailleurs, sur le puzzle modifié auquel il s’ajuste …parfaitement !

C’est évidemment géométriquement impossible : en ajoutant des pièces la surface du puzzle a augmenté et le cadre ne pouvait plus s’ajuster, d’où les applaudissements du public ébahi !  Nous avons donc affaire à un prestidigitateur, mais qu’importe, car nous savons d’expérience que chaque changement, tel un nouveau travail, une naissance, un déménagement, un mariage…. fait de nous un autre dans un environnement différent. Si parfois nous ne le ressentons pas comme un « changement », c’est qu’il s’intègre naturellement à nos projets et à ce que nous sommes.

Mais vous le savez aussi, il existe des changements beaucoup plus difficiles : ceux qui vont modifier le cadre, peut-être même le briser. De rectangle il pourrait se transformer en un  cercle ou en un polyèdre irrégulier, bref en n’importe quoi, et peut-être même qu’il pourrait ne plus y avoir de cadre du tout, mais un genre de nuage par exemple…

Cette situation est loin d’être imaginaire : devant les difficultés engendrées par l’arrêt de l’économie, l’impossibilité de se déplacer, de rencontrer nos amis et notre famille, et la peur engendrée par l’incertitude de l’avenir, il existe beaucoup de raisons pour qu’un certain nombre de « cadres » n’aient pas tenu le coup, et se soient brisés.

D’involontaires dans la pandémie, de tels changements peuvent bien sûr être aussi volontaires. Qui n’a jamais pensé changer de vie ?  C’est un projet classique qui vient naturellement à l’esprit puisque nous sommes dotés d’imagination et de désirs. Adam Philips explique dans « La meilleure des vies », que nous vivons tous plusieurs vies en même temps*.

Les personnes qui ont volontairement procédé à un tel changement l’ont fait grâce à de puissants moteurs personnels dont elles ont progressivement été dotées par leur histoire, leur confrontation à un ou des évènements, fondateurs d’une capacité à abandonner leur cadre de vie. Car il s’agit bien d’un abandon. Or l’abandon est le sentiment que nous détestons le plus, et cela depuis le premier cri poussé à notre naissance ! Pourquoi irions-nous le provoquer ?

Impossible à dire, les situations sont très variables et dépendent des moteurs en cause. Quelques exemples d’amis autour de vous, vos lectures ou votre expérience, vous auront appris que l’amour (et le désamour), une passion, l’humiliation, le désespoir, les conflits de conscience ou de valeurs, l’argent (qu’on n’a pas…), la mort, le besoin d’exister, la liberté…. et beaucoup d’autres, en font partie.

Ni une simple envie, ni une conviction enthousiaste, ni des gémissements quotidiens sur les difficultés rencontrées dans sa vie ou son métier ne suffiront à la réalisation d’un tel basculement. Pour qu’il se produise il est nécessaire que se forge en notre for intérieur un irrésistible besoin de fuir la situation dans laquelle on se trouve, pour rejoindre une situation entrevue comme un idéal, même si rien ne permet de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un mirage.

Faut-il du courage ? Non, car dès que vous imaginez qu’il vous faudra du courage vous pensez qu’il peut venir à manquer…

Faut-il prendre conseil ? A Blois une enseignante d’espagnol titulaire de son poste, et d’origine bretonne, a décidé de quitter son métier dont tout le monde croit savoir qu’il est très confortable (emploi garanti à vie, beaucoup de vacances, 18 heures de cours par semaine…), pour vendre des crêpes et des galettes sur les places, les marchés et les fêtes… Elle a donc échangé sa classe bien chauffée contre un lever à 5h du matin, approvisionnements, préparation, un travail dans une petite  roulotte de 2,5 m2, avec froid, pluie, vent, rémunération aléatoire et non garantie… Sur le projet personne ne lui aurait donné raison de le mettre en œuvre, elle ne semble pas le regretter pourtant.

Faut-il savoir désobéir ? Oui…

Au-delà des aspirations individuelles au changement, les peuples ont bien sûr eux aussi leurs aspirations au changement.

Les personnalités élues qui peuvent prétendre avoir entendu leurs électeurs et posséder LA vision de leurs aspirations se sont faites rares ces dernières décennies. A lire le magazine Courrier International, on a même beaucoup de mal à trouver une nation dont les dirigeants politiques répondent réellement aux aspirations de leurs mandants…. une fois le bulletin mis dans l’urne.

Ce n’est un secret pour personne que dans le « cadre » politique, pour reprendre l’image initiale du puzzle, les forces au pouvoir et dans les oppositions forment un même « système », dans lequel elles s’entendent parfaitement pour … protéger et conserver leur pouvoir. Les contestations, telles que les grèves, les manifestations, la liberté d’expression, les plaintes en justice, sont alors le jeu admis par ces forces comme des épiphénomènes nécessaires, car elles justifient aux yeux du pays l’idée que le régime politique est bien une démocratie.  

C’est ainsi que les soignants et médecins ont bien pu faire part de leur désespoir,  que le monde du spectacle a bien démontré sa capacité à organiser les règles sanitaires, que les professionnels « non essentiels » ont pu faire des pétitions. Et que ça n’a servi à rien.

Revenant à la pandémie, nous pouvons nous souvenir qu’après avoir entendu le silence des villes, vu la limpidité de l’eau, et mieux respiré, nous avions imaginé qu’elle pouvait ouvrir les portes d’un « monde d’après ».

En fait de « monde d’après » nous voyons que la solution politique pour anéantir la pandémie est un vaccin. Ce qui nous permet de comprendre que « le monde d’après » n’est pas pour demain, puisque nous pouvons désormais attendre de pied ferme la prochaine pandémie : nous serons toujours capables de créer un nouveau vaccin pour nous « sauver », qui plus est en un temps record… ! Waouh !

Au fait, voilà que 2021 pointe à l’horizon, c’est le moment des fameuses « bonnes résolutions ». Alors… quel changement allez-vous entreprendre ?

Alexandre Adjiman

Le 16 décembre 2020

* Bibliographie :

Désobéir, Frédéric Gros, Albin Michel 2017 ; La meilleure des vies, Adam Philips, Editions de l’Olivier, 2013 ; Eloge de la fuite, Henri Laborit, Folio, 1985 ; Eloge du risque, Anne Dufourmantelle, Rivages poche, 2019 ; La réalité de la réalité, Paul Watzlawick, Seuil Points, 1976 ;  Et Nietzsche a pleuré, Irving Yalom, Le livre de poche, 1992 ;   Vivre content, Jean-Louis Servan Schreiber, Le Livre de poche 2011 ; Qu’est-ce qu’une vie réussie ? Luc Ferry Le livre de poche, 2010 ; Discours sur le bonheur, Emilie du Chatelet, Le livre de poche, 2014; Devenir soi, Jacques Attali, Fayard 2014 ; Changements : Paradoxes et psychothérapie, Paul Watzlawick, Seuil, 1975 ; La vie ordinaire, Adèle Van Reeth, NRF-Gallimard, 2020 ; La vie est un puzzle ! Alexandre Adjiman, Ed Garamond (2011 et 2014) ; Quand je serai grand(e) je ferai… Alexandre Adjiman Ed Garamond (2008) Copyright vidéo Youtube, Les indégivrables, Le Monde, Xavier Gorce

Auteur : Versus

Blog de commentaires sur les faits de société, les films, les livres, la créativité, la politique, les comportements individuels, l'antisémitisme, l'entreprise, l'économie, la famille, et d'une manière générale tout évènement susceptible d'apporter des changements... Je suis Médiateur Professionnel à Tours.

3 réflexions sur « Savons-nous changer ? »

  1. Merci pour cet article que je découvre un peu tardivement mais qui reste plus que jamais d’actualité !
    Les petites voix intérieures qui nous font préférer au renouveau la stagnation (en la nommant « stabilité », un joli mot qui légitimise bien souvent nos décisions de ne pas bouger), on commence à cesser de les écouter dès lors que l’insatisfaction est telle qu’il n’est plus possible de poursuivre dans cette voie…. Et l’on découvre souvent que le changement n’était pas si difficile, dommage de ne pas l’avoir initié plus tôt…
    Je me suis récemment essayé à l’écriture d’un article pour tenter de remettre le changement dans la perspective de notre environnement actuel (https://alainorsot.fr/2021/03/20/il-na-jamais-ete-aussi-simple-de-changer/ ), afin d’apporter ma modeste pierre à l’édifice … 😉

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    1. Oui, vous avez tout à fait raison, c’est pourquoi je dis que pour un changement véritable, il n’est pas nécessaire d’avoir du courage. Ce changement là, le vrai, n’est pas « courageux », il est désespéré ! Toutes les belles conditions dont nous bénéficions effectivement aujourd’hui (passerelles de changement professionnel, information mondiale, réseaux, lectures,…) ne sont même pas toujours nécessaires, puisque dans certains pays, ceux qui « ne savent ni lire ni écrire » savent quand même se résoudre au changement… et c’est alors au péril de leur vie:.

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  2. Commentaire proposé par Jean-Yves Saulou.

    Les composantes du changement sont effectivement variées . Il est souvent plus facile de demander à l’autre de changer plutôt que de changer soi-même. Celui qui change espère obtenir des avantages tout en conservant les avantages dont il jouit aujourd’hui. Le changement ne serait alors qu’un jeu mercantile du « j’ai gagné, j’ai perdu ». Un peu comme dans un divorce où les avantages du nouvel élu (élue) sont effectifs et les avantages de l’ancien (ancienne) sont attendus implicitement mais non au rendez-vous.

    Ce résumé est un peu rapide mais peu se formuler ainsi :
    · Les changements d’Evolution : il s’agit de rester dans le cadre de la vidéo et de chercher à améliorer les bases de connaissance acquises ;
    · Les changements Révolution : le cadre explose, il convient de casser pour construire, en prenant comme base, non pas sa base de connaissance mais une cible définie.

    Le changement nous nourrit mais la suralimentation implique sa bonne gestion, au risque d’appliquer cet adage limousin : « Changement d’herbage séduit les veaux »

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