Chers migrants, vous allez nous manquer….

Mais où est donc passée la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen adoptée par les Révolutionnaires en août 1789 et que le monde entier nous envie ? Elle énonce le principe fondamental, successivement confirmé dans le Droit Européen, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (adoptée par les Nations Unies), et notre constitution, à savoir que « tous les Hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits, et qu’ils doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Tous ces textes ont mis des siècles à nous parvenir. L’esprit de Voltaire dans son traité sur la tolérance, celui de Rousseau sur l’origine des inégalités, le savoir vivre de Montaigne, l’Esprit des Lois de Montesquieu, l’amour infini de Simone Veil pour la fraternité, doivent persister dans leurs finalités. 

Oui, chers migrants, je vous écris pour vous dire ma consternation devant la « Loi immigration » qui déclare vouloir vous rejeter, votée contre toute attente par l’Assemblée Nationale Française le 19 décembre dernier.

Je pourrais dire avec l’écrivain Nadir Dendoune, qui interpelle Emmanuel Macron dans le journal Libération pour lui dire qu’il a trahi ses engagements, que vous allez nous manquer pour occuper tous ces emplois dont nous ne voulons pas, je le cite : Qui nettoie nos bureaux à 2 heures du matin ? Qui trime sur les chaînes de tri de nos déchets ? Qui nous soigne à l’hôpital, du médecin à l’aide-soignant ? Qui ramasse nos poubelles ? Qui fait la plonge ? Qui refait les chambres d’hôtels tous les jours ? Qui nous répond dans les centres d’appels d’urgence jour et nuit ? Qui construit les immeubles de vos villes ? Qui ramasse les fruits et légumes dans vos champs ? Qui trime sur les chantiers de vos Jeux olympiques ?

Mais NON ! Ce n’est pas ce que je veux dire quand je dis que vous allez nous manquer ! Assigner votre rôle à ces quelques fonctions domestiques est bien trop restrictif, et beaucoup trop loin de la réalité des richesses que nous vous devons.

Nous vous devons d’abord et avant tout la leçon de courage qui est le vôtre de choisir de changer votre destin au péril de votre vie et parfois celle de vos enfants, ce que nous ne savons pas très bien faire tant nous aimons notre petite zone de confort, même si elle s’avère inconfortable. Vous n’êtes ni dans les compromis ni dans les compromissions de nos sociétés dites « modernes », vous êtes l’espérance personnifiée, vos yeux brillent pour l’avenir tandis que nous avons perdu nos illusions. A ce titre vous avez une valeur d’exemple. Que ceux qui en doutent n’hésitent pas à aller voir « Moi Capitaine », actuellement sur les écrans de cinéma, car non, ce n’est pas par plaisir que vous venez jusqu’à nous, et notre petite Loi immigration ne vous découragera peut-être même pas ! Tant mieux !

Nous vous devons aussi la découverte de la diversité de vos cultures. J’ai visité récemment le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille (MUCEM), et son exposition intitulée « Le grand Mezze ». Le musée fait apparaître le mélange de toutes vos cultures si vivantes, tout autour de la Méditerranée, et l’apport considérable des échanges que nous pouvons y faire, ainsi que votre amour du partage, dont nous bénéficions.

Que lèvent la main ceux d’entre vous qui me lisez, qui n’ont pas aimé découvrir en famille ou avec des amis la cuisine libanaise, marocaine, grecque, italienne, juive, syrienne, algérienne, tunisienne…. Comment ce plaisir est-il arrivé dans votre assiette si ce n’est parce que vous les migrants êtes venus jusqu’à nous, et que notre tradition est de vous accueillir ? 

Mais nous ne vous devons pas que des travaux pénibles ou des plats savoureux ! Par exemple nombreux sont les artistes venus à Paris à la rencontre de la liberté de création que nous leur offrons. Bien sûr, ils ne sont pas venus dans les mêmes conditions ou pour les mêmes motifs que vous, ils ont fui des guerres ou des régimes fascistes, mais ils étaient de toute façon, eux aussi, des exilés.

Parmi eux se trouvaient Modigliani, Dali, Man Ray, Tamara de Lempicka, Alfons Mucha… Ce dernier, d’origine Tchèque, était Franc-Maçon et profondément humaniste, ce qui lui a valu d’être arrêté par la Gestapo. Sa peinture s’inspirait de motifs japonais, celtiques, et grecs. Ses affiches, qui s’arrachaient sur les colonnes Morris pour être collectionnées ont contribué à la notoriété de l’actrice de théâtre Sarah Bernhardt, et sont même à l’origine de l’Art Nouveau !

Je n’oublie évidemment pas Marc Chagall exilé de Russie, dont la peinture n’est pas seulement délicate, enchanteresse, et poétique, mais d’une grande richesse symbolique sur les thèmes de l’amour, de la fraternité, de la musique, de la joie, du judaïsme et des souffrances lorsque l’Humanité se fait inhumaine.

La France rayonnait alors de la présence de tous ces étrangers, Paris était la Ville Lumière où il fallait être vu, travailler et créer. Leur réussite ne doit pas nous faire oublier qu’ils sont arrivés les poches vides eux aussi. Et que l’étranger n’est pas simplement « utile » à nous permettre de cocher les cases des « métiers en tension » comme on voudrait bien nous le faire accepter. Il apporte avec lui un autre regard, une autre forme d’esprit, peut-être comme le ferait un enfant, et une ambition née de l’obligation qu’il a de faire sa place. Bref, il nous apporte son patrimoine immatériel, venu d’un ailleurs, mais de la même planète que celle où nous sommes, et dont venons d’avoir un petit aperçu de la richesse.

Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent en ce moment même pour faire abroger la loi, avant que peut-être, le 25 janvier prochain, le Conseil Constitutionnel la déclare contraire à notre idéal de Liberté et de Fraternité, et donc inapplicable. C’est peu probable, cette institution est très conservatrice, corporatiste, elle changera un mot ou deux, il ne faut pas en attendre de miracle. Mais des manifestations de protestation pour empêcher sa promulgation, auxquelles participeront des personnalités de tous horizons les dimanches 14 et 21 janvier vont avoir lieu partout en France. Cette mobilisation est indispensable, elle est un acte de résistance qui n’est ni politique ni religieux, ni syndical….

Depuis 1789 la fraternité universelle et l’accueil de l’étranger sont notre ADN. Promouvoir cette fraternité n’est pas un acte politique, c’est un acte humaniste. En revanche l’extinction de la fraternité universelle par l’extinction du migrant est un acte politique puisque c’est un parti politique qui l’a signé. Et criminel de surcroit.

Alexandre Adjiman, le 11 janvier 2024

Vous voulez faire suivre cet article ? Copiez et transmettez le lien : https://wp.me/pbCpZe-qB

Merci à Florence L. pour toutes ses contributions. Merci à tous mes lecteurs de l’année 2023, vous avez été 8% de plus, à 2 160 !

« Seuls les enfants changent le monde », Jean Birnbaum, 2023, Editions du Seuil

« L’hypothèse K », Aurélien Barrau, 2023, Editions Grasset

« Désobéir », Frédéric Gros, 2017, Editions Albin Michel-Flammarion

Alfons Mucha (c) Photo Paris Zig-Zag

Et la palme d’or du cynisme est attribuée à ….

Bonjour,

Parce que je suis né Egyptien, à Héliopolis, cité multi millénaire située dans la banlieue du Caire, et que dans le cadre de la guerre dite du Canal de Suez (1956/57) entre l’Egypte et Israël ma famille a été expulsée, et que, devenus apatrides, nous avons été accueillis par la France, je suis un migrant au sens littéral du mot. Rien à voir bien sûr avec les conditions de ceux d’aujourd’hui.

Impossible cependant pour moi de rester indifférent à l’absence cruelle de volonté politique d’affronter une situation pourtant multiséculaire de déplacement des populations sur la planète. En effet, comme vous pouvez le voir à partir du lien ci-dessous vers une campagne actuelle du musée de l’immigration, un français sur trois est un immigré… Probablement un voisin, ou vous même… Sans le savoir peut-être ?

Sans le savoir ? Vous pouvez en avoir le cœur net : il vous suffit pour cela de demander à connaître votre ADN. Pour quelques dizaines d’euros vous pourrez découvrir les ethnies qui vous traversent, une dizaine en ce qui me concerne. Dont les Inuits, mais seulement pour 1% il est vrai… Le fin fonds de vos origines les plus lointaines est à une portée de clic.

Après avoir permis d’Uberiser des centaines d’emplois précaires, dont beaucoup aujourd’hui sont occupés par des migrants, Monsieur Macron se sent plus flatté et important de traiter avec les personnes les plus riches du monde, même si elles ignorent les Droits de l’Homme ou licencient des milliers de personnes par texto, que de contribuer d’urgence à une solution française et européenne de la situation.

L’article ci-dessous, publié dans Courrier International du 16 juin 2023, donne un aperçu de nos responsabilités.

Le naufrage en Grèce, “un crime commis en notre nom”

« Le naufrage d’une embarcation transportant des centaines de migrants au large des côtes grecques le 14 juin s’apparente à un crime perpétré au nom des Européens, fulmine “Efsyn” dans un éditorial. Le journal de gauche s’emporte contre les politiques migratoires, qu’il juge responsables de drames à répétition.

Dans la zone la plus profonde de la Méditerranée, là où la plaque africaine s’engouffre sous la plaque eurasienne, les rêves et les espoirs de centaines de personnes ont coulé en même temps que leur embarcation métallique, dans les abysses, à plus de 5 000 mètres de profondeur.

Nous ne connaîtrons probablement jamais les noms et les histoires de ceux qui ont péri, mais nous savons très bien que ce crime a été commis en notre nom, tout comme nous connaissons les noms de tous ceux qui en sont responsables.

En notre nom et au nom de la patrie, pour la gloire et la sécurité de l’Europe et pour la protection des frontières, l’Union européenne (UE) a mis en œuvre des politiques qui transforment le Vieux Continent en forteresse et les pays frontaliers en prisons. Éradiquant toute notion d’humanité et laissant derrière elle des décennies de tradition juridique, elle traite les mendiants comme des ennemis à écraser.

L’UE a légitimé l’inhumanité

Les réfugiés sont repoussés jusqu’à ce qu’ils se noient dans la mer Egée, les persécutés tombent contre des murs dans la région de l’Evros [frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie où s’étend une clôture de 35 kilomètres de longueur], les demandeurs d’asile deviennent du gibier, les déracinés sont entassés dans des camps.

En conférant aux pays du Sud le rôle de chiens de garde à ses frontières et en dépensant sans compter dans des moyens de répression, l’Union européenne légifère et perfectionne les technologies du crime. Et alors qu’elle a normalisé l’horreur et légitimé l’inhumanité, elle se montre choquée par une nouvelle tragédie pourtant annoncée.

Du ministère de l’Immigration grec au président du Conseil européen, et de Kyriakos Velopoulos [homme politique grec d’extrême droite] à la présidente de la République hellénique, on désigne les passeurs comme responsables de cette disgrâce qui a coûté la vie à des centaines de personnes.

Ce ne sont pas les guerres des dirigeants ni la stratégie de démembrement des pays, pas les politiques d’exploitation de l’homme ni les tactiques pour empêcher ces damnés de la Terre de passer légalement qui sont responsables. Non. Les responsables sont les contrebandiers du désespoir.

La Grèce a décrété trois jours de deuil national. Mais un véritable geste de respect pour ceux qui ont péri et tous ceux qui se préparent pour un prochain périple qui se joue à la roulette russe serait d’arrêter de verser des larmes et d’en finir dès à présent avec ce comportement de chien qui se couche devant les puissants et qui mord les pauvres diables de ce monde ».

Alexandre Adjiman

le 18 juin 2023

Un français sur trois est un immigré, campagne actuelle du musée de l’immigration : https://www.huffingtonpost.fr/culture/article/cette-campagne-du-musee-de-l-immigration-avec-louis-xiv-rappelle-qu-un-francais-sur-trois-est-immigre_219222.html?xtor=EPR-5689964-[daily]-20230617

Source de l’article publié : Efimerida Ton Sytakton :

Le «Journal des rédacteurs» est né de la crise économique en Grèce. Il a en effet été fondé en 2011 par les journalistes du quotidien Eleftherotypia, qui, en pleine faillite, fermait alors ses portes. Chacun d’entre eux a investi de ses propres deniers pour mettre en place ce journal, qui est désormais l’un des rares dans le pays à faire des reportages de société. Ses rédacteurs se disent indépendants, mais le journal a une tendance centre gauche et invite souvent des intellectuels à faire des tribunes.