Poésie maudite ou … maudite poésie ?

Ceux qui me connaissent savent que j’affectionne les écrits qui transgressent les idées reçues, parce que je collectionne ceux qui font l’éloge de sujets inattendus. Il y a dans ma bibliothèque l’éloge de la fuite, et aussi celui du risque, du désir, de la rupture, de l’errance, des brunes (sic), du petit déjeuner, des coins de rue, (celui où parfois l’on se donne rendez-vous), etc, et bien sûr, l’éloge de l’Amour d’Alain Badiou…

A propos, voilà que mon amoureuse m’offre le « Petit éloge de la poésie » écrit par Jean-Pierre Siméon, poète, dramaturge, romancier, éditeur, directeur artistique du Printemps des Poètes, etc… Bref, l’expert incontournable du sujet. Je n’ai pas lâché ce petit livre avant d’avoir tourné la 90 ème et dernière page…

Extrait : On dit de la poésie qu’elle est une chose charmante. Qu’elle fait du bien. Qu’elle fait rêver et chanter les mots. Qu’elle permet d’échapper à la dure réalité. Mais aussi qu’elle est hautaine, elle complique la langue à l’envi, qu’elle se complaît à l’obscur, qu’il faut le savoir d’un initié (… ) bref, qu’elle est dans sa majeure partie tout bonnement incompréhensible ».

Pour illustrer les raisons de cette mauvaise opinion de la poésie je vous propose deux extraits de La grande vie de Christian Bobin (1951/2022), poète contemporain donc, essayiste et philosophe.

« Ce qui manque à ce monde ce n’est pas l’argent. Ce n’est même pas ce qu’on appelle « le sens ». Ce qui manque à ce monde c’est la rivière des yeux d’enfants, la gaieté des écureuils et des anges ».

« La floraison des cerisiers ne dure pas. L’essentiel on l’attrape en une seconde. Le reste est inutile ».

Je suppose que n’ayant pas tout perçu du premier coup vous avez eu besoin de relire pour comprendre les idées qui se cachent derrière les mots.

Le premier extrait nous suggère que contrairement aux apparences l’argent n’est pas nécessaire, sous-entendu pour que le monde aille mieux. En revanche il vaudrait mieux avoir le regard d’un enfant, sa candeur, sa naïveté, et surtout sa franchise, celle qui ne craint pas la remise en cause des certitudes d’adultes, car il n’est pas encore formaté à s’auto-censurer. La vérité ne sort-elle pas de la bouche des enfants ? Quant aux écureuils et aux anges ils ne mettent pas l’argent au premier plan de leurs préoccupations… et si l’on en faisait autant ?

Le second extrait propose de nous pencher sur le caractère éphémère de la floraison du cerisier, et de ne pas omettre d’y voir le résultat des années passées à le soigner depuis sa plantation, sans lesquelles aucune floraison ne serait possible.

Il n’était certes pas possible de capter toutes ces informations lors d’une première lecture, et l’on comprend que cela rend la poésie inadaptée à nos habitudes de décryptage instantané des contenus. Conclusion : pour que nous puissions assimiler le tsunami d’informations qui nous submerge, il ne faut pas que nous ayons à … réfléchir ! Et cela est bien adapté à notre paresse de lecture puisque nous préférons les images, et à la prétendue rentabilité de notre emploi du temps.

Pour l’auteur de l’Eloge de la poésie l’habitude prise d’une compréhension facile de nos lectures facilite l’anesthésie de notre attention et de notre capacité de réflexion, tandis que notre esprit critique s’ankylose au profit d’une acceptation tacite des évènements voire d’une indifférence. Les fausses informations y trouvent, elles aussi, leur épanouissement.

Cette forme de communication bas de gamme est pleinement d’actualité comme on a pu le voir à l’occasion de la pandémie du COVID, avec ses discours simplificateurs : « Nous sommes en guerre ! Nous sommes en guerre !« , ou encore : « Quoi qu’il en coûte ! » Chacun croit alors comprendre le sens de ces formules, qui ne veulent pourtant rien dire (ou alors il faut m’expliquer), et peut s’imaginer grâce au ton et l’emphase que la situation est maîtrisée. Le pouvoir manipulateur de cette façon de communiquer a déjà été dénoncé dans le roman 1984 de George Orwell, il y a donc 76 ans de cela (1948 est la date de naissance du roman). Rien de vraiment nouveau au 21ème siècle donc : même si ce n’est pas la novlangue du roman, le principe est le même.

Malheureusement l’opinion courante sur la personnalité du poète est celle d’un idéaliste qui n’a pas les pieds sur terre… Mais l’opinion courante se trompe, nous dit Siméon pour qui la poésie est non seulement plus réelle que le propos qui dissimule la réalité vraie, elle est même révolutionnaire !

Il est vrai qu’en allant à la recherche de par le monde des poètes dont les publications ont été interdites  ou qui furent jetés en prison, j’ai trouvé matière à conforter son point de vue (liste pêchée sur GPT jointe ci-dessous). D’ailleurs vous ne trouverez au Panthéon que trois poètes : Victor Hugo, Voltaire, et Paul Eluard, … Encore faut-il préciser qu’ils s’y trouvent surtout en raison de leurs activités politiques, littéraires ou philosophiques plutôt que poétiques ! HA HA HA ! Mais où sont passés Baudelaire, Villon, Apollinaire, Verlaine, Aragon…. et tant d’autres ?

De quoi donc est-il question avec la poésie ? D’une pensée, dit Siméon, car la poésie est bien une forme de pensée, qui pose comme principe que la vie ne trouve pas sa justification et sa seule garantie dans l’avoir, le pouvoir, la domination ou le paraître.

Pour le bouddhisme l’esprit poétique est indispensable au bien-être de chacun comme à celui de l’humanité (lien ci-dessous).

Cette forme de pensée peut s’inscrire dans tous les domaines : le politique, la vie professionnelle et personnelle et bien sûr la nature. Rien de poétique dans l’esprit de Nétanhyaou, du Hamas, de Poutine, et de bien d’autres, aucune poésie non plus dans le management d’Elon Musk. Aurélien Barrau, l’astrophysicien fantasque et agrégé de philosophie, ne craint pas quant à lui de déplorer à presque toutes les pages de son dernier livre, « L’hypothèse K », l’absence complète de poésie dans les décisions de recherche de la science, dont beaucoup sont absurdes de ce fait. De l’eau au moulin !

Enfin je me suis plu à imaginer en terminant ma lecture, qu’une petite pincée d’esprit poétique pourrait bien souvent contribuer à résoudre les petits litiges amicaux, conjugaux ou familiaux, et que chacun serait parfois bien avisé d’y recourir.

Poétiquement vôtre,

Alexandre Adjiman

le 30 mai 2024

lien CHATGPT vers les poètes interdits dans l’histoire du monde : https://chatgpt.com/share/04ba4cac-bb53-4dfc-b723-536924057177

« Petit éloge de la poésie » Jean-Pierre Siméon, Folio 2€, Gallimard, 2022

« La grande vie » Christian Bobin, Gallimard Folio2014

Pour l’esprit poétique dans le soka-boudhisme : https://www.soka-bouddhisme.fr/perspectives/reflexions/832-lesprit-poetique

« LTI, La Langue du IIIe Reich », Victor Klemperer, Albin Michel, 2023

« Le pourquoi du comment », Frederic Worms, Flammarion, 2024

« La dictature des ressentis », Eugénie Bastien, Plon, 2023

« Seuls les enfants changent le monde », Jean Birbaum, Seuil, 2023

« L’hypothèse K » Aurélien Barrau, Grasset, 2023

Auteur : Versus

Blog de commentaires sur les faits de société, les films, les livres, la créativité, la politique, les comportements individuels, l'antisémitisme, l'entreprise, l'économie, la famille, et d'une manière générale tout évènement susceptible d'apporter des changements... Je suis Médiateur Professionnel à Tours.

2 réflexions sur « Poésie maudite ou … maudite poésie ? »

  1. Cher Alexandre,

    Cette ode à la poésie à cueillir ce matin sur votre Versus m’a bouleversée, positivement !

    Tout comme vous, je ne pourrais « être » sans poésie, car c’est elle qui raccroche au vrai, à notre état d’Humain et à ce qui nous entoure. Elle est la nature et le sentiment. Elle est le questionnement et les réponses sur ces flux passionnels qui pulsent notre cœur. Elle est notre révolte et nos rêves, nos chemins interdits, nos forces et nos faiblesses.

    Aussi je ne vais pas reprendre tout votre texte magnifique auquel j’adhère totalement. Cependant, je me permets d’émettre une infime divergence sur le caractère « incompréhensible » de la poésie. Je m’explique :

    Pour moi la poésie va bien au-delà des mots. En effet, même sans comprendre la totalité du vocable ou des tournures stylistiques employés ; La poésie offre un sens, une musicalité, un tout qui provoque les émotions. Pour étayer mes propos, deux petites anecdotes :

    *Lorsque ma cadette avait environ 2ans, je lui lisais « anthologie des plus belles pages de la poésie française ». Je ne lui épargnais pas même les textes du moyen âge, jusqu’à Verlaine, Apollinaire ou Aragon (mes préférés je crois). Lorsque qu’elle me redemandait certaines poésies déjà lues, je lui disais : « tu sais chérie, celle-ci est vraiment compliquée. Tu es certaine ? »

    Ce à quoi elle me répondait : « mais non elle est pas difficile, elle est belle !!! »

    *Et puis lorsque j’écoute des chansons aux textes très poétiques en langues étrangère, ou lorsque je lis avec une traduction un peu aléatoire des poèmes en anglais….et bien croyez-moi : je ressens cependant toute l’essence du texte.

    Voilà cher Alexandre pour ma petite contribution.

    Gardons donc nos yeux d’enfants, nos âmes poétes ! Peut-être sauveront ils l’humanité, des hommes sans cœur ?

    Merci à nouveau Alexandre pour vos articles qui touchent toujours à l’essentiel de la vie.

    SylvPs : Et si vous voulez de la poésie pure et non écrite, je me permets de vous conseillez l’exposition immersive « de Vermeer à Van Gogh » dans le lieu magique des bassins des lumières, à Bordeaux.

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    1. Naturellement Sylviane, elle est lin d’être incompréhensible, mais c’est la réputation qu’elle a au grand dam des auteurs, car les éditeurs ne font pas des best-sellers, et il est donc très difficile de les convaincre de publier… C’est encore encore l’argent qui fait parler de lui… Heureusement des auteurs comme Bobin sont parvenus à faire évoluer l’état d’esprit. Il y a aussi le subterfuge de la chanson qui permet à certains d’aimer et comprendre la poésie …. sans le savoir !!!

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