C’est quoi l’amour ?

J’aime flâner dans les librairies et j’ai beaucoup de difficulté à ne pas acheter toutes les idées de lectures qui me font envie ! L’autre jour, à la très bonne librairie Labbé à Blois, m’étant finalement décidé sur trois livres, je découvre à la caisse un « tract » dont le titre est « C’est quoi l’amour ? ». A 3,50 € vous serez d’accord avec moi pour dire qu’il serait dommage de se priver d’une telle réflexion.

En 27 petites pages c’est un véritable défi ! A ma connaissance, et j’ai assez bien étudié le sujet, personne à ce jour n’est parvenu à en donner une explication satisfaisante, et les philosophes abhorrent le sujet, sinon pour dire qu’il faut s’en méfier terriblement, tant il est source de déraison et de désordres dans la conduite de la vie…

Dès les premières pages, l’auteure, se remémorant sa première rupture amoureuse (elle a 14 ans), se demande : quelle est donc cette folie qui nous pousse à négliger l’intégralité de notre existence au point de nous noyer dans une relation ?

Ayant enquêté autour d’elle, elle nous confirme que personne ne s’accorde sur une explication : il y en pour qui c’est une décharge hormonale réveillant des papillons dans le ventre, d’autres pour qui amour et sexualité sont indissociables ou pas du tout (ou presque), d’autres encore pour lesquels l’amour est la base d’un projet de vie sous un même toit (ou non), et conclut que de toute façon tout le monde aime….! Nous sommes d’accord.

Rationnel ou non, avec des formes et des intensités diverses, l’amour est une constante de l’espèce humaine, écrit-elle. On en trouve des traces dès le paléolithique (20 à 30 000 ans avant notre ère !). Devenu support d’une organisation sociétale de partage, l’amour a été beaucoup plus souvent une transaction économique que le résultat d’une romance. L’invention du mariage a plus ou moins entériné l’affaire, suivie d’autres formes de liens.

Forte de ce constat, Ovidie, (l’auteure, journaliste et animatrice d’émissions radio autour de la pornographie féministe) conclut : ainsi, couple et domination masculine sont, depuis le début de notre histoire, intrinsèquement liés.

C’est à ce stade de ma lecture que je découvre l’objet du tract qui n’est pas d’expliquer en quoi consiste l’amour mais d’en montrer les déviances. Un peu plus loin elle dira que l’amour n’est pas obligatoire et que dans l’amour on ne peut attendre de l’autre qu’il nous satisfasse pleinement, qu’il soit l’Alpha et l’Omega de notre bonheur. Elle regrette notamment que dans le conte de La Belle au bois dormant le prince charmant libérera de son sort la belle endormie en l’embrassant sans son consentement.

Nous sommes en 2024, et je me demande si Ovidie ne sous-estime pas quelque peu la capacité des femmes à détecter les situations qui ne leur conviennent pas et à avoir la force nécessaire de s’en détacher. En effet, les femmes sont à 75 % à l’origine des divorces, et il n’y a à priori aucune raison pour qu’il n’en soit pas de même dans les séparations de couples engagés sous d’autres formes.

Revenons au centre du sujet « C’est quoi l’amour ? »

La plupart des auteurs, romanciers, poètes, réalisateurs de cinéma, auteurs de théâtre, psychologues ou psychiatres, etc, l’identifient comme situé au croisement de nombreux comportements.

Ainsi l’amour est-il caractérisé entre autres par une forte dépendance affective. Celle-ci n’a été ni voulue, ni décidée, et se trouve plutôt être une surprise. Avec Marcel Proust, fin observateur de la société, je crois qu’on peut dire qu’on a tort de parler en amour de mauvais choix, puisque dès qu’il y a choix, il ne peut être que mauvais.

Autre caractéristique largement reconnue et éprouvée, l’absence de l’être aimé fera très rapidement naître un manque que l’on cherchera à compenser par tous moyens, avec force et persévérance. Parfois le vent de l’amour souffle si fort qu’il ressemble à un cyclone envahissant l’esprit, devenu incapable de penser à autre chose. Une rupture, si elle a lieu, confirmera immédiatement le vide insondable créé par la disparition.

Bizarrement les amoureux peuvent trouver dans ces frustrations un certain plaisir, voire une joie profonde. Dans La rencontre, une philosophie, le philosophe Charles Pépin décrit l’embrasement que provoque l’amour, transformant les êtres, leur donnant des ailes, et la force parfois indispensable pour surmonter des obstacles : différences d’origines, de religion, d’âge, de couleur de peau, amis, familles, enfants…

Parce qu’enfermés dans leur bulle les amants n’entendent et ne voient plus rien, et s’embrassant sur les bancs publics s’foutent pas mal du regard oblique des passants honnêtes, l’amour est aussi une charmante transgression, parfois ressentie comme une incivilité mêlée d’un peu de jalousie.

Puisqu’il n’y a pas d’amour heureux comme le dit Aragon, il n’est pas incongru de penser que les amoureux puissent être dans une forme de servitude volontaire au regard des inéluctables souffrances qui accompagnent périodiquement leur bonheur de s’être trouvés. Ils n’en ont cure, et s’ils se séparent et prennent alors conscience de leurs servitude, ils souffriront mais… recommenceront !

Car aimer est probablement un antidote à l’abandon, cet état que nous chercherons à fuir dès la naissance. C’est pourquoi tout le monde aime, comme le dit Ovidie : délicieux asservissement qui donne envie de déclarer au monde entier : Me too j’aime !

Difficile de parler d’amour sans parler de désir, ce mouvement incontrôlable et fugace, qui balaie tout sur son passage, et qui est l’essence de l’Homme selon Spinoza. Libido, complèterait Freud.

Avec beaucoup d’autres Ovidie met en garde contre les déviances patriarcales de la sexualité. Soit, la prudence est de mise, mais à trop vouloir transformer un mouvement naturel du cœur, ou du ventre avec ses papillons, en un mouvement cérébral et sous contrôle, ne va-t-on pas briser la spontanéité de l’élan amoureux pour l’encadrer dans un formalisme incompatible avec ce que nous avons décrit ci-dessus ?

Aussi suis-je tenté de proposer à Ovidie un autre regard sur le baiser du prince charmant (qui pourquoi pas, pourrait être une femme) à la belle endormie. Qu’il ne soit pas le symbole d’une quelconque domination masculine, mais plus simplement celui de la puissance d’éveil de l’amour.

Gardons une place à l’amour spontané et incontrôlable, au pouvoir de l’élan amoureux, à ses peurs, à ses larmes, à ses joies, à ses ruptures et à ses recommencements !

Sur la relation sexuelle amoureuse chacun dira si elle lui est ou non nécessaire. Il existe heureusement quelques philosophes féministes qui, sortis des poncifs et routines médiatiques, défendent l’idée que lorsqu’il est parvenu au stade de la confiance absolue et d’une connaissance physique très intime, l’amour permet une sexualité sans préalables, préventions ou restrictions, réjouissante et épanouissante.

Le graal quoi !

Alexandre Adjiman

Le 10 avril 2024

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Dans mes lectures :

Avant d’écrire cet article j’ai posé quelques questions sur le sujet à CHATGPT, vous pouvez trouver les questions et les réponses sous le lien suivant : https://chat.openai.com/share/4002e63a-b3e7-4c12-a559-981848ec7285

« C’est quoi l’amour ? » Ovidie, Editions ALT, 2024

« La rencontre, une philosophie » Charles Pépin, Pocket 2023

« Le goût du vrai » Etienne Klein, Tract Gallimard, N°17

« Interview de Manon Garcia », Numéro spécial KANT, Philosophie magazine, 2024

« Ecrire l’amour, de Jane Austen à Mona Chollet » Editions le UN,2022

« Puissance de la douceur » Anne Dufourmantelle, Rivages, 2021

« Réinventer l’amour » Mona Chollet, 2021

« Du baiser » Francesco Patrizi, 1529/1597, 1001 NUITS 2021 Traduction de l’édition originale…

« Eloge du mariage, de l’engagement, et autres folies », Christina Singer Le livre de Poche, 2021

« Le mirage Metoo » Sabine Prokhoris, Le Cherche Midi, 2021

« Eloge du risque » Anne Dufourmantelle, Rivages,2021

« En cas d’amour » Anne Dufourmantelle, Rivages, 2012

« Contribution à la théorie du baiser », Alexandre Lacroix, Autrement, 2011

« Eloge de l’amour » Alain Badiou, Flammarion 2016

(c) Georges Brassens Youtube, Les amoureux des bancs publics

Auteur : Versus

Blog de commentaires sur les faits de société, les films, les livres, la créativité, la politique, les comportements individuels, l'antisémitisme, l'entreprise, l'économie, la famille, et d'une manière générale tout évènement susceptible d'apporter des changements... Je suis Médiateur Professionnel à Tours.

4 réflexions sur « C’est quoi l’amour ? »

  1. Merci Alexandre pour cet article, j’ai bien aimé aussi lire les définitions proposées par chatgpt. Pour moi l’amour c’est le contraire de l’intelligence artificielle, je trouve que certains parlent beaucoup de l’intelligence artificielle, cela me fait un peu sourire de les écouter ou de les lire. Il serait peut-être préférable d’utiliser le mot connaissance à la place du mot intelligence. L’IA c’est finalement le dictionnaire de notre époque, nous avons l’Encyclopédie Universelle, puis il y a eu Wikipédia et maintenant ChatGPT. Chaque dictionnaire à son approche, dans le premier il y a les experts en haut, les apprenants en bas, une relation verticale et hiérarchique. Dans le second chacun est à la fois expert et apprenant, une relation plus horizontale, dans le dernier on multiplie l’effet du second, mais tout cela n’existe que pour servir la cause de l’humanité. Pour en revenir à l’intelligence, ce sont des sentiments, des émotions, c’est typiquement humain et aussi animal. Nous voyons bien et plus facilement avec les animaux domestiques qu’ils sont capables d’émotions. Pour d’autres animaux dont nous organisons l’élevage, qui n’ont pas comme nous cette faculté de pouvoir parler, ce sont par leurs mugissements ou grognements qu’ils nous font part de leurs émotions. Pour l’amour, chacun est libre de l’entendre comme il veut, pour moi il est évident que c’est le contraire de la violence, celle qui fait souffrir autrement que par le bonheur. Puisque nous évoluons dans une société plus violente, la violence dont l’intensité et la fréquence augmentent, à forcement une conséquence sur l’amour qui diminue d’autant. Nous en parlerons à la prochaine conférence du 25 avril à 18H au Conti. Quel pourrait être le monde de demain et que fait-il faire dès aujourd’hui ? Cette conférence présentera des idées pour diminuer la violence. Ensuite nous discuterons. Encore Merci de nous inspirer des idées et de nous faire réfléchir Alexandre. Amicalement.

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    1. J’aime l’idée de parler de violence à propos d’amour… Bien sûr il y a beaucoup trop de violence dans la société et mon opinion est que nos gouvernants n’ont aucune idée de ce que c’est et de l’impact productif de violence de leurs décisions, notamment dans les secteurs de la santé de l’école et de la justice. Merci Stéphane. Alexandre

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